SALAIRE D’UN MEDIATEUR…
Auteur : Rudy BADIN
https://www.dropbox.com/s/hdayw4knfoyill3/Médiation%20-%20taux%20horaire%20%281%29.pdf?dl=0
Rien n’a encore été dit ou écrit sur ce tabou ou sur cette relation entre la médiation et l’argent. L’asbl Agora Médiation a tenté de lever un coin du voile.
Tous, nous nous sommes déjà posé cette question, tant dans la viabilité d’une profession, que dans le regard des médiés à l’annonce de nos pratiques ou tarifs.
Si la médiation est un phénomène relativement récent, il existe encore un certain flou conceptuel autour de la notion même de la médiation, il s’agit avant tout d’un mode de régulation sociale, dans un monde où l’état a abandonné sa fonction forçant l’individu à être autonome. L’autonomie est un luxe dont beaucoup n’ont pas encore accès.
La médiation ne peut être réduite à une simple technique de gestion des conflits au même titre que la conciliation ou l’arbitrage. La médiation, à la différence des MARL ou des MARC, ne se limite pas à la gestion des conflits, mais constitue aussi un mode de socialisation à l’image de la médiation citoyenne dans les quartiers. Cette approche de la médiation, comme modes de régulation sociale, explique à la fois sa diversité mais aussi sa complexité, comme en témoigne la multiplicité des dénominations de médiateurs (médiateurs familiaux, scolaires, etc.), de statuts (bénévoles, professionnels), de régimes (libérales, institutionnels), mais aussi la diversité des processus (évaluative, transformative, narrative, etc.). Ces réalités et cette « mediation jungle » finissent par devenir illisible. Derrière ce terme médiation se cache une infinité de rapport ou de concept[1], dans lequel nous devons nous définir notre propre éthique. En laissant un amalgame dans les termes médiateur, négociateur, facilitateur, aviseur,…
Il est souvent rappelé au médiateur qu’il doit veiller à son confort, son premier confort ne serait-il de s’assurer qu’il puisse vivre de la médiation. Comment se faire une place, comment accrocher les médiés lorsque ceux-ci sont appelés par les sirènes de la médiation gratuite ou bénévole.
Prenant distance par rapport à ces médiations hautement respectables, sans être subventionné, le médiateur professionnel n’est pas moindre que les autres acteurs de notre société, et peut dès lors revendiquer un même niveau de confort ou de revenus tirés de ses activités.
Partant d’un litige, les parties sont libres de s’approprier la résolution du conflit ou de se référer à un tiers ou à une justice étatique. Même si nos honoraires peuvent être similaires ou différents des honoraires pratiqués par les avocats, dans une économie globale les parties apprécient les avantages en coût et en délai d’une médiation, sans compter l’exonération de la tva en médiation familiale.
Dans un marché de libre concurrence, où le médiateur et l’avocat sont deux acteurs travaillant en synergie ou non sur cette scène de la résolution du litige, chacun à une place à prendre dans une acceptation mutuelle (ou non), ils doivent l’un et l’autre tirer profits de leurs pratiques, sans dénaturer ou rendre plus difficile l’intervention des autres acteurs.
Pour une simplification, notre regard ne va se porter que sur le médiateur professionnel agréé par la CFM ne cumulant aucune autre activité tel que les avocats, psychologues, ou notaires, etc. Partant de l’hypothèse que la médiation n’est pas qu’un complément de revenu.
Les enjeux économiques, symboliques et idéologiques des confrontations ou de ces luttes de domination des avocats sur ces métiers de la médiation sont développés par le sociologue J.-P. Bonafé-Schmitt[2] exprimant ainsi ; « La médiation représente un enjeu non seulement pour les médiateurs qui veulent en faire une profession à part entière, mais aussi pour d’autres acteurs, comme les professions juridiques ou du social, qui veulent annexer cette nouvelle fonction dans leur champ d’intervention ».
Une activité peut s’exercer soit sous un régime libéral, soit sous un régime contractuel, l’un et l’autre a ses avantages et ses inconvénients, parfois avec des regards d’envie de l’autre système. Qui a goûté aux deux régimes n’aura aucun mal à vous dire que l’herbe n’y est pas plus verte dans un pré que dans l’autre.
Avertissement, cette liberté ne peut être cumulative, on ne peut être à la fois son patron et son employé, un lien de subordination doit pouvoir exister et s’exercer, mais des solutions existent. Un indépendant ne peut s’octroyer un salaire (sous le régime de l’ONSS), excepté pour le gérant d’une entreprise.
- Que pourrait être le salaire octroyé à un médiateur engagé en tant qu’employé ? Quel tarif pourrait être demandé couvrant l’ensemble des frais d’exploitation et de salaire ?
Nous considérons le cas d’un médiateur engagé sous contrat à durée indéterminée par un employeur et voyons à quel tarif l’employeur peut-il « vendre » de la médiation pour couvrir les charges salariales de son personnel et les charges d’exploitations associées.
Le salaire que pourrait demander un médiateur auprès d’un employeur, peut-il satisfaire son bonheur ? Si associer économie et bonheur n’est pas évident, il faudrait gagner 10 416 € net par mois, soit près de 125 000 € par an, afin d’être « parfaitement heureux ». C’est ce que démontre une étude internationale conduite par la compagnie d’assurance suédoise Skandia International, sur un panel de 5 000 personnes vivant en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Europe.
Les habitants de Dubaï chiffrent le salaire annuel du bonheur à plus de 210 000 € ; les Singapouriens à 175 000 € et les Hongkongais à environ 150 000 €. Les Européens semblent globalement moins gourmands : les Britanniques aspirent en moyenne à un salaire d’un peu plus de 100 000 € (soit près de 8 333 € net par mois), les Français à 90 000 € et les Allemands à environ 65 000 €.
L’appréciation que chacun a sur sa vie augmente constamment en suivant les revenus. Au-delà d’un revenu de 75 000 $ par an (+/- 65.000 €/an), une augmentation du revenu n’amène ni à ressentir du bonheur ni à être soulagé du malheur ou du stress. C’est ce qu’a relevé une étude de l’institut américain Gallup qui, chaque année, mesure l’évolution du bien-être.
Entre rêve et réalité
Un sondage réalisé par Vacature.com et la KU Leuven auprès de 66.000 salariés en Belgique démontre que seul 5 % des salariés peuvent atteindre ce plafond du « bonheur »,
90 % gagnent plus de 2.050 € brut, soit 1.531 € net. (le net calculé sur 2 revenus)
80 % gagnent plus de 2.300 € brut, soit 1.591 € net.
70 % gagnent plus de 2.500 € brut, soit 1.654 € net.
60 % gagnent plus de 2.750 € brut, soit 1.763 € net.
50 % gagnent plus de 3.000 € brut, soit 1.873 € net.
40 % gagnent plus de 3.300 € brut, soit 2.005 € net.
30 % gagnent plus de 3.700 € brut, soit 2.183 € net.
20 % gagnent plus de 4.200 € brut, soit 2.400 € net.
10 % gagnent plus de 5.100 € brut, soit 2.755 € net.
5 % gagnent plus de 6.000 € brut, soit 3.119 € net.
Le salaire médiant est proche des 3.000 €.
Ce sondage confirme que le secteur où les employés gagnent en moyenne le plus reste celui de la chimie, et que de manière globale, les branches dans lesquelles on gagne bien sa vie sont notamment la recherche scientifique et le droit.
Le droit, lequel ? le droit réel des notaires ou le droit du contentieux des avocats. « L’avocat gagne-t’il bien sa vie ! » vaste débat, d’après Sylvie Adijès et Hélène Lesser dans « Médiateurs et Avocats – Ennemis ? Alliés ? »[3], sur le marché Français, 10 % des avocats s’accaparent 50 % du marché, laissant l’avocat médiant a des revenus en-dessous aux revenus moyens nationaux. Pourrions-nous penser à une situation similaire pour les avocats belges ?
Il existe d’autres réalités que nous pouvons trouver sur le site du SPF Economie , en résumé :
- Le travailleur salarié occupé à temps plein a touché en 2014, 414 € bruts par mois, ce montant est une moyenne, en y ajoutant dans ce brut les primes, double pécule, 13 ième mois, etc. Ce montant ne fait aucune distinction entre les ouvriers et les employés.
- Ce montant moyen de 3.414 € brut, représente simplement un brut salarial de 2.943 €/mois (3.414 x 12/13,92) similaire au résultat de la KUL, abstraction faite de la différence d’une valeur médiane d’une valeur moyenne.
- Le genre, l’écart salarial entre les hommes et les femmes se réduit mais est encore de 6 % en 2014.
- Le secteur d’activité, c’est l’industrie pétrochimique qui verse les salaires les plus élevés : 5.196 € en moyenne. Suivent le secteur des activités des sièges sociaux et conseil de gestion; les services financiers, l’informatique et l’industrie pharmaceutique. A l’autre bout du classement, on retrouve l’action sociale sans hébergement (ateliers protégés, garderies…), avec 2.279 €.
- La profession ; les directeurs de grandes entreprises touchent 9.253 € en moyenne. Suivent les directeurs et cadres de direction, technologie de l’information et des communications (6.925 €), les managers de services administratifs (6.734 €) et les médecins (6.722 €).
- Le lieu de travail ; faire la navette jusqu’à la capitale en vaut la peine : les salaires à Bruxelles (3.908 €) sont nettement plus élevés qu’en Flandre (3.367 €) et en Wallonie (3.177 €). En bas de classement, dans l’arrondissement de Dinant, le salaire n’est que de 2.592 €.
- L’âge ; les salaires évoluent très fortement selon l’ancienneté. Les chiffres du SPF Economie illustrent clairement ce phénomène (voir infographie). Certes, la progression barémique est nettement moins importante chez les ouvriers, qui gagnent 2.188 € à 20 ans contre 2.886 € à 60 ans, que chez les employés où le salaire à 20 ans est de 1.874 € contre 5.191 € à 60 ans. Mais en moyenne, ouvriers et employés confondus, le salaire brut moyen est plus de deux fois plus élévé à 60 ans (4.447 €) qu’à 20 ans (2.096 €). Dans les milieux politiques et économiques, nombreux sont ceux qui remettent en cause cette très forte progression salariale selon l’ancienneté qui ne favorise pas l’emploi des travailleurs âgés, alors que la mise à l’emploi des plus de 55 ans constitue l’un des principaux défis en Belgique.
Où se situe le salaire du médiateur dans cette jungle de chiffres, aucune trace de ce métier qui n’a pas encore un statut, aucune échelle barémique. N’essayez d’inscrire votre activité auprès de la « Banque Carrefour », aucun code NACE ne reprend cette activité, et c’est l’employé du « Secrétariat social » qui bidouille afin de pouvoir vous classer, suivant une activité d’elle estime similaire. De même n’essayez de vous inscrire auprès du Forem ou d’Actiris en tant que demandeur d’emploi « médiateur », ce métier n’existe pas.
Même si le système de reconnaissance est encore lacunaire. L’administration sociale ne s’y perd pas car en engageant un employé avec pour tâche d’être « médiateur », l’inspection de l’ONSS vérifie en fonction du descriptif de la fonction si le salaire n’est pas inférieur à celui fixé par la/les Commissions Paritaires. La description de la fonction a son importance, si il est annoncé simplement employé, usage des administrations ou institutions .
- CP200 (Commission Paritaire pour employés) : le barème II pour employés actifs depuis 1 an dans la même entreprise, indique le salaire minimum (brut/mois) en fonction de la classe :
- 720 € (classe A : exemple concierge, collaborateur au courrier, …)
- 797 € (classe B : ex. collaborateur administratif, téléphoniste, …)
- 812 € (classe C : ex. magasinier, télé-conseil, documentaliste, …)
- 967 € (classe D : employé planning, rédacteur, …)
Le médiateur peut-il se reconnaître dans une de ces fonctions ou classes ?
Si dans la description, il est annoncé que le médiateur est en contact avec un public, et qu’il a une autonomie dans sa fonction.
- le CP336 s’impose (Commission paritaire pour les professions libérales) : la grille est plus souple car il ne fait pas intervenir le nombre d’année d’ancienneté mais le type d’expérience (critère très subjectif)
- Débutant : 2.948 €
- Un peu d’expérience : 3.604 €
- Avec expérience : 4.276 €
Nous pouvons nous satisfaire dans un premier temps de ces montants.
Comparons ces chiffres au salaire brut des agents travaillant au sein de l’Etat, par exemple celui de la Communauté Française :
– Diplôme d’un régent, bachelor : (barème 301)
2.629 € (pour une ancienneté de 5 ans)
3.486 € (20 ans d’ancienneté)
– Diplôme d’une licence, master : (barème 501)
3.310 € (5 ans d’ancienneté)
4.523 € (20 ans d’ancienneté)
En engageant un collaborateur ayant un peu d’expérience sous la CP336, le salaire brut de 3.604 €/mois cache d’autres charges et frais :
- Coût annuel = coût mensuel x 13,92 (double pécule et 13iéme mois)
- 604 € x 13,92 = 50.168 €
- Les charges patronales = Coût annuel x 30 % = 15.050 €, tant que le gouvernement ne met pas fin à la tax shift, ce montant n’est pas dû pour le premier employé.
- Mise à disposition d’un espace bureau et espace rencontre, meublé, équipé, électricité, chauffage = 850 €/mois (minimum de ce que l’on peut trouver à Bruxelles) x 12 = 10.200 €/an
- Charges de cotisations : frais secrétariat social, assurance, médecine du travail, hygiène, contrôle ONSS,… +/- 1.500 €/an
- Disposition légale : déplacement, abonnement social,…
- Pour mémoire : l’ensemble des libéralités, chèques repas,…
- Pour mémoire : l’ensemble des frais de bureau, consommables, papier, flipchart, imprimante, PC,…
- Pour mémoire : l’ensemble des frais de publicité, prospection, marketing, web, référencement,…
- Pour mémoire : les formations continues, documentation, livres,…
Au total, ce salarié (bac+3, ayant un peu d’expérience) coûte à l’employeur au minimum 65.000 €/an (80.000 € avec charge patronale, si les mesures du tax shift sont abandonnées). Le salarié (bac+5) revient à 75.000 €/an (sans charge patronale) 93.000 €/an avec charge patronale.
A titre de comparaison : En France, la prestation de service mise en place par la convention d’objectifs et de gestion Etat – CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales) est subsidiée à 61.467 € incluant 44.837 € pour le salaire du médiateur familial diplômé d’état, 14 ans d’ancienneté + 16.630 € pour l’ensemble des frais de fonctionnement. Ces montants datent de 2006, par une simple indexation on arrive au montant de 75.163 € (54.828 € pour le salaire direct + 20.335 € pour les frais d’exploitation).
Dès lors pouvons-nous partir d’un budget annuel de 75.000 € en prenant le risque que le politique ne supprime le tax shift pour le premier employé
- Etre médiateur sous un statut de salarié est-ce rentable ou vivable ?
La réponse dépendra du régime tarifaire qui pourrait être demandé aux parties, aux médiés
Une année comporte 220 jours ouvrés, en retirant 5 jours pour les formations continues, 215 jours peuvent être consacrés à la médiation.
Pour couvrir les frais annuels de 75.000 € (sans tax shift) sans aléas et sans prise de bénéfice, assumant tout les risques, il faut que la caisse enregistre 350 € de rentrées par jour (215/215 jours), pour atteindre cet objectif, chacun pourra définir son taux horaire. L’expérience démontre qu’il est matériellement impossible de pratiquer un taux horaire inférieur à 120 €/heure. Pour couvrir les aléas (maladie ou incapacité temporaire) les périodes creuses (les rendez-vous non tenus, temps entre deux médiations, les congés) ou un plan d’investissements,… 140 €/heure serait souhaitable.
A titre de comparaison, ce montant correspond aux montants demandés par les avocats (Bruxelles – entre 120 et 150 €/h avec ou sans frais). De même ce taux est très souvent appliqué et parfois bien d’avantage en médiation civil & commercial (au vu des divers sites web). Les avocats-médiateurs savent que trop bien ce que représente un taux horaire pour la pérennité de leurs bureaux. Comparaison n’est pas raison, peut-on imaginer un médiateur face à des médiés 8 heures par jour.
Le sujet ne peut plus être tabou, il serait souhaitable qu’un collectif puisse établir une recommandation sur un taux horaire (avec ou sans frais annexe). Cette recommandation aurait pour avantage que de jeunes médiateurs ne se lancent avec des prix attractifs les mettant trop rapidement en difficulté financière et ne quittent la profession prématurément avec amertume et déception.
Compte tenu de la disparité salariale entre les divers arrondissements (voir carte ci-avant), ne serait-il pas envisageable que les honoraires du médiateur puissent suivre un rapport équivalent le taux honoraire des avocats recommandé par les barreaux des divers cantons.
Les lois européennes de la libre concurrence interdissent l’imposition d’un barème, mais ne peuvent faire obstacle à une recommandation.
La profession de médiateur se range au même titre qu’une profession de services, identique à toutes les autres professions libérales, trop nombreux transposent cette activité en entreprise sociale de type « aide à la personne ». Combien de médiateurs s’associent à cet esprit d’aide à la personne en proposant des taux horaires très bas (voir tarification sur les sites web), en invoquant que demander plus, aurait pour conséquence que les parties ne pourront venir ou parfois se justifient sous prétexte qu’au planning familial il n’est demandé qu’une simple participation symbolique, comme si la désunion d’un couple ne valait pas plus ! , et que dire des médiations gratuites !
Pouvons-nous admettre ces raisonnements ?
Qu’un médiateur, travaillant sous un régime libéral, accepte une couverture sociale, une pension, et un revenu moindre qu’un salarié, cela lui appartient, il garde sa liberté de convenir.
Mais derrière ces acceptations, un tarif bas ou un bradage est préjudiciable à l’égard de l’ensemble d’une profession. Le médiateur doit au minimum retirer un revenu similaire avec un niveau de confort, de couverture sociale, de pension, et de qualité de vie égale à un salarié moyen.
120 €/h ou 160 €/séance serait une base.
Un coin du voile a été levé par l’asbl AGORA MEDIATION qui profitant de la Médiation-Week tenue à Waremme a abordé le thème : « Le coût de la médiation ». Les divers intervenants (avocats, notaires, médiateurs, assureurs,..) ont développé divers argumentaires menant des taux très disparates (de 100 à 200 €). Interpellé par une certaine pratique d’avocat qui consiste a mener la médiation a un taux (produit d’appel), lorsque vient la phase de la rédaction de l’accord, la casquette est tournée, appliquant un tarif plein.
Malheureusement, « la rédaction des accords » ne fait pas partie du programme de formation (décision de la CFM du 1er février 2007). Pas surprenant que de nombreux médiateurs s’arrêtent à ce stade et transmettent la rédaction à un tiers.
Une convention de médiation fait loi entre parties, un médiateur professionnel n’a pas moins de compétence qu’un juriste pour une rédaction. Rien n’interdit à un médiateur de faire appel à un expert (avocat spécialisé, fiscaliste,…).
Le médiateur professionnel se doit d’accomplir sa mission de A à Z, jusqu’à Z+ en remettant la requête aux médiés, si l’un de ceux-ci a ou aurait le besoin de faire homologuer l’accord.
Cet exercice n’a que pour but d’amener la médiation au même titre que toutes autres professions, avec sa reconnaissance pleine et entière. Sans faire, la moindre distinction entre métier et fonction.
Plus proche de Jean-Louis Lascoux[4] dans une pratique de la médiation professionnelle, que dans les intentions du geste gratuit de Jacques Faget.
- Regard sur deux situations
a- La médiation au sein du planning familial :
Le planning familial a une mission bien définie.
Le 24 avril 2012, la Cour des comptes a transmis au Parlement Wallon un rapport sur le subventionnement des centres de planning et de consultation familiale et conjugale : https://www.ccrek.be/Docs/2012_17_CentresPlanFam.pdf
Le rapport pointe un problème dans le subventionnement, pour extrait :
…,
En effet, le cadre législatif ne limite pas le volume des interventions des centres par personne, notamment le nombre de consultations. Or, à partir d’un certain nombre, les consultations peuvent s’apparenter à une activité de thérapie. Les activités du centre risquent alors d’entrer en concurrence avec d’autres professions ou établissements qui ne bénéficient pas des mêmes interventions financières de la Région wallonne et, dès lors, de ne plus être en conformité avec la réglementation européenne.
Le mécanisme actuel de subvention ne peut exclure la valorisation d‘activités relevant de la sphère concurrentielle. Le cas échéant, l’octroi d’une telle subvention risque de s’apparenter à une aide d’État67.
La problématique de la valorisation des prestations de médiation familiale illustre également ce propos 68. Bien que les tribunaux proposent de plus en plus ce genre de prise en charge en renvoyant vers les centres de planning et de consultation familiale et conjugale, il convient, avant toute chose, d’examiner si la médiation de type judicaire relève bien du rôle qu’ils doivent endosser 69.
La subvention pourrait être assimilée à une aide d’état contrevenant la réglementation européenne, puisqu’elle propose des services que d’autres (médiateurs) ne bénéficient pas, des mêmes aides. Si un magistrat peut être de bon conseils face à un couple en désarroi, peut-il avec le même habit renvoyer les parties régler le contentieux auprès d’un médiateur qui ne serait pas agréé ?
En réaction, pour éviter un risque de perte de subventions, les centres de planning ont retiré la médiation familiale de leur objet social. Néanmoins le service juridique des centres continue à orienter la famille vers des médiateurs externes, non plus institutionnalisés, mais auprès de médiateurs de proximité appliquant un tarif préférentiel.
La Région Bruxelloise n’étant pas visé par ce rapport de la Cour des comptes, le médiateur est soit institutionnalisé ou externe, privilégié ou sur une liste de suggestion.
b- La médiation familiale en France :
Combien de fois n’avons nous pas entendu « en France, le médiateur ne demande que 15 € et parfois beaucoup moins ». Une petite voix intérieure nous dit, mais comment le médiateur peut-il vivre avec ces montants ? Et puis une autre voix vient couvrir la première, peut être qu’en France comme en Belgique, les médiateurs sont invités à « accepter » l’aumône de l’assistance judiciaire.
Hors le système français est structuré, sécurisant, et non concurrentiel.
A l’origine, la médiation familiale ainsi que toutes les matières ayant trait à la famille et à sa cohésion étaient reprises dans la compétence de l’organisme qui chapeaute les allocations familiales, la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales), les médiateurs familiaux étaient issus de ces institutions départementales organisant les AF, très peu de médiateurs familiaux étaient sous un statut libéral.
En 2001, la Ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux personnes handicapées a demandé un rapport en vue de déterminer les modalités et les conditions du développement d’une médiation familiale de qualité. Ce travail consistait à proposer des mesures pour favoriser l’organisation de la médiation familiale et promouvoir son développement, en étudiant le champ d’application de la médiation familiale, les principes déontologiques, les formations des médiateurs familiaux, et le financement de la médiation familiale.
De ce travail, deux ans plus tard est né en 2003, le diplôme d’Etat de médiateur familial (une formation de 600 heures), le diplôme d’Etat de médiateur familial est un diplôme de spécialisation professionnelle pouvait être inscrit au niveau II du cadre de la Convention Collective Nationale de travail du 15 mars 1966. Le barème est exprimé en points, évolution par annuité, 600 pts au début, 672 pts après 14 ans, et 768 pts après 28 ans. A la dernière révision du point (1er avril 2013) celui-ci valait 3,76 €/pt soit un salaire brut de 2.256 € au début, 2.526 € après 14 ans et 2.887 €/mois après 28 ans. Pour rappel, un régent (bachelor) en Belgique touche 2.629 €/mois (après 5 ans), 3.486 €/mois (après 20 ans)!
Le financement de la médiation est multiple, au principal :
- les allocations familiales,
- le ministère de la justice,
- le ministère de la famille, enfance et personnes handicapées,
- le conseil général des départements.
D’un protocole de financement, se sont créés des centres (privés ou publics) subventionnés par le CNAF
Au 1er janvier 2006, l’assiette de calcul de la prestation de service correspond à la somme des dépenses de fonctionnement du service :
- 100 % du coût annuel du salaire d’un médiateur familial, dans la limite d’un plafond de 44.837 €
- 25 % du salaire annuel d’un personnel de secrétariat, dans la limite d’un plafond de 5.473 €
- 20 % d’autres charges, dans la limité de 11.157 €
- Au total (1er janvier 2006) = 61.467 €
La participation financière des familles
Une participation financière des familles est demandée, son montant varie en fonction des revenus :
http://www.issy.com/sites/default/files/mf_bareme_caf.pdf
Le revenu du médié est son revenu (brut) avant impôt.
L’indexation se fait automatiquement, si il y a indexation des salaires, passage à une tranche supérieure.
Le CNAF a estimé qu’une séance de médiation familiale a un prix de revient de 131,21 € (au 1er janvier 2006), il était pour le moins légitime que la participation financière cumulée des deux personnes (la famille) ne pouvait dépasser ce prix de revient.
Par une indexation, le prix de revient d’une médiation familiale est porté à 160,45 € par séance. L’estimation établie précédemment y trouve ici toute sa pertinence, 160 €/séance.
La participation financière ne s’applique pas à l’entretien d’information dont le principe de gratuité a été retenu pour permettre aux personnes de s’engager en toute connaissance dans le processus de médiation familiale.
Les revenus du médiateur familial ne sont pas impactés par cette participation financière des parties, le médiateur a un revenu fixé par Convention Collective Nationale de travail. Les montants récoltés par la participation des familles sont reportés au centre de médiation, dont sa subvention sera déduite des sommes récoltées. L’organisation est quelque peu plus complexe, mais le principe y est.
La circulaire de la CNAF donne des estimations de l’activité cible par poste :
Activité cible pour 1 ETP | ||
Ancienneté de la structure | Nombre de mesures | Nombre d’entretiens |
1 an | 50 | 350 |
2 ans | 60 | 400 |
3 ans et plus | 70 | 450 |
A partir de la 3ième année de fonctionnement, la liquidation de la prestation de service par la CNAF vérifiera le taux de production du service (organisation privée ou publique), par exemple si une équipe de 5 médiatrices a réalisé 360 dossiers, au travers de 1900 entretiens (les premières gratuites sont comptabilisées). Bien que le sujet soit de l’appréciation du comité des financeurs, 1900 entretiens/450 entretiens = 4,22 à le subsidiant ne couvrira que 4 temps pleins. D’où une certaine pression pour produire.
En conclusion
La CNAF a cadenassé la médiation familiale, rendant quasi impossible la concurrence.
Si le médiateur travaille dans un centre subventionné par la CNAF :
- il doit être titulaire du diplôme d’Etat,
- il perçoit un salaire fixe,
- pas de concurrence, la participation financière demandée aux parties est identique sur l’ensemble de l’hexagone,
- les JAF des TGI (pour rappel le ministère de la justice est partenaire à la CNAF dans les subsides) adressent les couples vers les médiateurs de ces centres subventionnés.
Si le médiateur souhaite travailler en libéral :
- aucune obligation d’avoir un diplôme d’Etat,
- le montant demandé par séance est difficilement concurrentiel vis-à-vis de la grille CNAF
- la gratuité de la première séance est également handicapant
- ne peuvent travailler en libéral qu’un(e) ex-employé(e) des centres subventionnés, ayant pu constituer un large réseau de contacts et/ou d’envoyeurs.
Ce 30 novembre, la SYME (Syndicat Professionnel des MEdiateurs) tire une sonnette d’alarme, sur les dysfonctionnements du système : https://www.syme.eu/articles/20867-ameliorer-rapidement-les-conditions-d-exercice-de-la-mediation-familiale
- le volume d’activité est insuffisant en regard des besoins de la société
- le diplôme d’Etat est performant et ultra-sélectif, mais il ne protège pas ses titulaires
- l’activité est accessible à des personnes sans formation
- le dispositif de financement de la CAF est injuste vis à vis d’un exercice libéral
- il est inadapté à des volumes de médiations plus importants
- les salaires et les rémunérations sont globalement insatisfaisants.
Par la loi du 18 novembre 2016, une expérimentation de tentative de médiation familiale préalable obligatoire a été prévue et mise en place auprès de 11 TGI (Tribunaux de Grande Instance). La dernière newsletter (novembre 2017) de l’APMF et autres associations souhaitent une mise en œuvre complète de cette expérimentation.
Si en 2006, le système d’une subvention pouvait faire face au nombre de médiation en cours, comment pourrait-il survivre avec l’accroissement voulu par la société ?
Peut-on imaginer un système similaire en Belgique ? euh,… la région Bruxelles-Capitale après 6 mois n’a pas encore pris ou fixé les allocations familiales à l’avenir, copier la Wallonie ou copier la Flandre !
Auteur: Rudy BADIN
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[1] “Droit et pratique de la médiation” Jean Cruyplants, Michel Gonda et Marc Wagemans aux édit. Bruylant 2008
[2] CAIRN : “Les enjeux de la formation à la médiation”, Négociations 2017/2 (n° 28), p. 201-219
[3] Editeur : Médias & Médiations, 2014
[4] Président de la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation (France)