Louise Massing – Paris 2017
La « médiation » à l’hôpital : utopie ou réalité pour l’usager ?
Auteure : Louise Massing, Institut Curie – Hôpital R. Huguenin, Service de médecine oncologique, Paris – Médiateure interne, Certificat Aptitude Profession Médiateur, Formation -École Professionnelle de Médiation et de Négociation – Bordeaux.
Le concept de médiation a été introduit dans le secteur hospitalier suite à la Loi du 4 Mars 2002 sur les droits du patient qui a créé un dispositif visant à améliorer les relations avec les usagers, lorsque celui-ci sollicite une médiation, faisant suite à un conflit l’opposant à un personnel soignant de l’hôpital, ou en lien avec un acte de soins ou médical, pour lequel l’usager s’estimerait lésé.
Que se passe-t-il lorsqu’un patient exprime une plainte suite à un conflit qui l’oppose à un médecin ou à une équipe soignante , lors d’une situation de soins ?
C’est ce que nous allons explorer, dans ce 1er article, en étudiant les modalités d’interventions de « la médiation » en milieu hospitalier. Nous apporterons un éclairage sur les atouts de cette alternative pour le patient, mais également sur les limites du « médiateur » dans son intervention auprès de l’usager, autour d’un dommage médical….
Entre expertise et devoir de neutralité envers l’usager, le médiateur doit-il ré-interroger sa posture ?
La « médiation » à l’hôpital : quelques repères réglementaires
Selon les orientations prises par l’Agence Régionale de Santé Ile de France, dans son guide publié en Décembre 2012 [1], la médiation médicale en milieu hospitalier n’a pas pour finalité d’éviter le recours contentieux, mais de garantir les conditions d’un dialogue.
Ajoutons qu’une ordonnance du 24 Avril 1996, précisait que, dans le cadre de tentative de résolution de conflit avec les usagers, une commission de conciliation était une alternative possible pour défendre les intérêts des parties prenantes.
Le rôle de la conciliation médicale et de la commission ad hoc n’était pas de résoudre les conflits, mais d’indiquer et d’orienter vers des voies de recours en cas d’échec. La spécificité de cette commission se caractérisait dans le fait qu’elle ne recevait pas les usagers, mais examinait uniquement les dossiers de réclamations.
Quelles sont les voies de recours pour le patient en cas de litige ?
A l’hôpital, lorsqu’un usager est insatisfait de la qualité des soins, il peut en faire part à l’équipe soignante (médicale et paramédicale).
Si les réponses ne lui apportent pas de satisfaction suffisante, il peut avoir recours à une instance, la CRUQ (la commission des relations avec les usagers et de la qualité) remplacée aujourd’hui par la CDU (la commission des usagers), depuis la parution du Décret n° 2016-726 du 1er juin 2016 relatif à la commission des usagers (CDU) des établissements de santé.
La médiation médicale à l’hôpital a été régie par la Loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, et par son Décret d’application du 5 mars 2005
La saisine de la commission de conciliation :
Cette commission a pour mission de veiller au respect des droits des usagers et de faciliter leurs démarches. Mais, elle dispose également de 3 autres attributions :
- Elle examine les plaintes et réclamations ne nécessitant pas de recours gracieux ou juridictionnel. Sur le plan pratique, la commission peut rencontrer le plaignant si elle l’estime nécessaire. A l’examen du dossier, elle formule des recommandations pour apporter une solution à la nature du litige, ou bien pour que l’intéressé soit informé des voies de conciliations ou de recours dont il dispose. Cette commission peut aussi émettre un « avis motivé » en faveur du classement du dossier,
- Elle contribue aussi à l’amélioration de la politique d’accueil et de prise en charge des personnes malades et de leurs proches.
- Enfin, elle travaille sur l’élaboration des outils de recueil d’indicateurs de la satisfaction des usagers.
Le médiateur médical et non médical :
L’usager peut également saisir un médiateur non médical concernant des plaintes non liées à l’organisation des soins, ni au fonctionnement médical des services.
En revanche, si l’usager s’estime victime d’un préjudice du fait de l’activité médicale, il peut saisir le médiateur médical, c’est à dire un médecin.
En règle générale, le médiateur médical est un praticien exerçant au sein de l’établissement. Ses 5 missions principales consistent à :
- prendre contact avec le plaignant et lui proposer un rendez-vous ;
- consulter le dossier médicalavec l’accord du patient ;
- compléter l’information, expliquer et essayer de résoudre les malentendus éventuels ;
- informer si besoin sur les modalités du recours gracieuxqui fera intervenir l’assurance de l’hôpital et il rédigera systématiquement un compte -rendu de la rencontre à l’intention du directeur d’établissement qui dispose du pouvoir de décision ;
- indiquer au plaignant les voies de recours judiciaire possibles, si les démarches n’ont pas abouti. Lorsqu’un accord n’a pas été trouvé, l’usager est orienté vers une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI). Les CCI sont composées de représentants des usagers, des professionnels de santé, des établissements de santé, des assureurs et de l’ONIAM.
Quelle que soit la qualification du médiateur, deux missions principales leurs sont communes :
- Servir d’intermédiaires entre les patients et les professionnels de santé, soit directement grâce à la conciliation, soit en désignant un médiateur ;
- Faciliter l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux graves, en relation avec l’ONIAM(L’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales).
Le médiateur hospitalier : est-il à la fois juge et partie ?
Le médiateur est désigné par le représentant légal de l’établissement, parmi les professionnels de santé qui exercent ou ont exercé dans cet hôpital. Cette procédure peut constituer un frein pour l’usager souhaitant faire valoir ses droits. L’usager ne peut effectivement pas choisir son médiateur puisque ce dernier est nommé par l’institution.
L’indépendance et la neutralité, dont doit faire preuve le médiateur, peuvent être limitées, d’autant plus que ce dernier rédige un rapport de sa médiation adressé au Directeur de l’hôpital. Peut-on alors garantir la neutralité et le respect de la confidentialité ?
Le « médiateur médical » de l’hôpital est-il le mieux placé pour accompagner l’usager insatisfait ?
L’hôpital représente un contexte particulier pour l’usager. C’est un milieu qui a ses exigences qualités, ses codes et ses habitus auxquels le patient est souvent soumis.
En général, le patient vient consulter à l’hôpital pour des problèmes de santé, ce qui le place en position de « vulnérabilité » potentielle. De plus, il est en contact avec une multitude d’intervenants, ce qui peut engendrer des tensions entre les intervenants et l’usager, mais aussi entre les différents acteurs.
Guy LESOEUR (Titulaire du diplôme de médiation de l’Université Paris II, président la Société de Recherches en Anthropologie Médicale) indique que « Le monde du soin a pour mission de sauver la vie, de prévenir, de restaurer le bien-être des personnes ; le bien portant d’hier devient le malade qui souffre, un patient et trop souvent encore un cas »[2].
En cas de conflit avec le corps médical, le patient est déjà dans une position critique, vulnérable par rapport à la maladie, et les représentations du corps médical sont encore marquées par leur position dominante.
De plus, cette représentation du pouvoir médical peut-être accentuée par le rôle du « médiateur médical », un médecin qui peut donc lui être proposé, comme interlocuteur, en cas de litige.
On peut d’ailleurs s’interroger sur la nécessité absolue de proposer un médiateur médical au lieu d’un médiateur généraliste (non médical).
L’expertise médicale du praticien reste, néanmoins, l’argument de choix pour le proposer de manière élective pour le patient souhaitant exprimer les motifs médicaux de son insatisfaction.
D’ailleurs, les médecins sont plutôt favorables à proposer l’expertise médicale pour représenter le « médiateur », comme en témoigne ce médecin : « j’ai l’avantage d’avoir été 37 ans médecin généraliste de connaitre mes confrères, de plus je siège depuis longtemps au conseil de l’ordre…..j’ai toujours accès au dossier médical »[3].
Les arguments systématiquement mis en avant concernent évidemment le secret du dossier médical, son accès étant extrêmement réglementé, comme le souligne le Conseil National de l’Ordre des Médecins.
Mais le médiateur n’a pas nécessairement besoin du dossier médical car il travaille sur la dynamique du conflit et sur le rétablissement d’un dialogue et d’une qualité relationnelle.
Guy LESOEUR, (Titulaire du diplôme de médiation de l’Université Paris II), renforce cette idée dans une de ses interventions, citée dans une revue de référence, Actualités JuriSanté n° 61 – Mars 2008 : « Pour ce qui est de son expertise, je reprends la formule de Thomas Fiutak, [NDLR Universitaire et médiateur qui a fondé le Centre de gestion des conflits et de médiation, à l’université de Minneapolis, Minnesota aux Etats-Unis], selon laquelle, dans 75 % des médiations, le savoir d’expert n’est pas nécessaire et peut même constituer un handicap. Si le médiateur possède une expertise en santé, c’est un avantage en ce sens qu’il connaît le monde de la santé, mais c’est aussi un inconvénient, car faisant partie du sérail, sa vision est conditionnée par sa spécialité ».Les parties doivent percevoir le médiateur comme un vide à remplir, moins le médiateur en sait sur la spécialité plus il est efficace, ce vide sert les intérêts de tous [4]
On peut-donc s’interroger sur le niveau de confiance qu’accorde l’usager au médiateur, et sur le niveau de satisfaction réciproque, quant au déroulement du processus de médiation ?
Finalement, le principe de la « médiation » doit-il répondre au principe de neutralité ?
Par médiation ,on entend « tout processus structuré quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige » Ordonnance n°2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive européenne
Elle est liée à l’art de la rhétorique, parce qu’elle mobilise des outils de la rhétorique qui permettent aux personnes d’échanger, de dialoguer, de se disputer et de s’entendre ».
Le médiateur est un expert en qualité relationnelle.
Il restaure le dialogue lorsqu’une relation est dégradée voire conflictuelle. Par ses techniques, il identifie clairement les conflits et les distingue des malentendus et des polémiques.
« Il accueillera les parties en litige, il les écoutera et les aidera à transformer ce matériau conflictuel, il disposera pour cela de sa formation, de son expérience, et d’une feuille de route structurée, formalisée par d’autres avant lui et empruntant son art à plusieurs techniques » [5]
« Le médiateur aide les personnes à verbaliser de manière aussi précise et complète que possible ce qu’elles cherchent à exprimer. C’est la communication altérocentrée qui veut dire focaliser son attention sur l’autre » [6].
Son mode d’intervention :
- pacifie et régule les échanges ;
- anime une discussion qui est devenue délicate, difficile, voire inimaginable entre des parties ;
- accompagne les parties dans l’élaboration de leur solution.
Le médiateur respecte également une posture de neutralité afin de garantir :
- l’indépendance vis-à-vis des influences extérieures ;
- l’impartialité vis-à-vis des parties au confli ;
- la neutralité vis-à-vis de la solution trouvée par les parties.
La pratique du « médiateur » en milieu hospitalier (retour d’expérience) :
Les exemples de médiations pour lesquelles j’ai eu à intervenir, en qualité de médiateure en milieu hospitalier, varient selon le niveau de complexité des circonstances des faits : les médiations peuvent résulter de simples problèmes de communication entre les équipes soignantes et les familles, jusqu’au au refus de soins pouvant, parfois, évoluer vers des procédures judiciaires, en cas d’absence de résolution satisfaisante pour l’usager.
Pour ce qui concerne ma pratique de « médiateure » non médicale, je n’ai pas eu besoin de entrer dans le détail du dossier médical, ce qui n’a aucunement posé d’obstacle dans ma compréhension de la requête de l’usager. De plus, ma neutralité n’a pas été remise en cause, jusqu’à ce jour.
La nature des conflits étant centrée sur le facteur émotionnel avec la notion de perte de confiance ressentie par l’usager.
Cette phase sensible est importante à identifier afin de centrer l’attention, pour le médiateur, sur le déroulé de la mécanique du conflit, en veillant à ce que chaque partie prenante expose ses arguments et points de vues, d’abord au cours d’un entretien individuel, puis au cours d’une réunion avec les 2 parties.
L’objectif de rétablir la relation de confiance reste indispensable à bonne poursuite du dialogue et surtout pour ce qui concerne la continuité du processus de soins.
A l’hôpital, peu de personnes communiquent réellement, soit par manque de temps, soit par ignorance de l’importance que nous devons lui accorder, comme l’explique Michèle Guillaume-Hofnung (Professeur des facultés de droit, directrice du master diplomatie et négociations stratégiques, Paris –Saclay ) « …Des gens qui communiquent, il y’en a très peu, car peu de paroles ont le même niveau et les professionnels de l’écoute ont rarement la mission de mise en relation…la parole s’y repartit entre des niveaux sociaux très hiérarchisés….Le déficit en communication est souvent mal vécu par les familles » [7]
Le médiateur intervient uniquement lorsqu’il est sollicité, afin de rétablir une qualité de la communication, en utilisant un mécanisme pacificateur, en tenant compte des émotions que peuvent susciter des situations relationnelles difficiles.
L’adoption de cette posture permet au médiateur de prendre de la distance par rapport à la résolution du conflit. La valeur ajoutée qu’apporte le médiateur consiste finalement à dépassionner le débat, pour permettre, ainsi, à l’usager d’exercer son droit à la médiation, tout en lui permettant d’avoir librement accès à son libre arbitre.
En conclusion, la médiation reste une alternative utile en cas de conflits liant l’institution, les professionnels et l’usager. Elle favorise la mise en discussion grâce à l’expertise d’une professionnel formé et capable de restaurer le dialogue, à l’occasion d’un conflit, tout en s’efforçant de garantir l’espace de liberté de l’usager.