La médiation sociale : entre résolution des conflits et sécurisation urbaine

par Fathi Ben Mrad

Revue Française des Affaires Sociales, 2004/3

Docteur en sociologie, il est chargé d’enseignement à l’université de Metz et à l’Institut universitaire de Luxembourg. Il est auteur de plusieurs articles et d’un ouvrage sur la médiation, il a exercé les fonctions de médiateur et de chargé de mission.

Introduction

Parmi les métiers de l’intervention sociale de récentes fonctions de médiation se sont largement développées depuis une décennie. Assumées la plupart du temps par des personnes intervenant dans les quartiers dits difficiles, ces fonctions renvoient à une relative hétérogénéité des pratiques et à une pluralité des dénominations de leurs acteurs : médiateur social, médiateur socioculturel, agents locaux de médiation sociale… Le caractère « nébuleux » de la médiation en milieu urbain et les qualifications plurielles s’expliquent en grande partie par la nature disparate et diffuse d’initiatives le plus souvent locales, improvisées, en fonction des contingences institutionnelles ou dans le cadre des dispositifs de type « emplois-jeunes ». Renforçant cette indétermination, la médiation sociale ne se réfère pas non plus à une formalisation juridique comme celle existant dans le champ pénal et familial [1] ; c’est dire toute la place laissée à l’improvisation pour ces expériences. En considérant les limites d’un tel exercice, il est pourtant possible de proposer une typologie qui permette de rendre cette nébuleuse plus intelligible.

Encadré 2 : Méthodologie [2]

À partir d’une problématique phénoménologique fondée sur les rationalisations et les perceptions agissantes des médiateurs, nous avons utilisé plusieurs outils d’investigations pour appréhender ce champ de la médiation.

Ces investigations se sont traduites par :

  • un travail d’observation participante (40 médiations dites sociales) ;
  • une étude documentaire détaillée (analyse des bilans, fiches de poste, écrits professionnels, textes légaux…) ;
  • et une enquête par questionnaire (N. 68).

Après avoir réalisé une étude comparative fondée sur une analyse qualitative et quantitative des données (composées de questions ouvertes et fermées), nous avons mené vingt-cinq entretiens semi-directifs avec des médiateurs sociaux en région lyonnaise et mosellane.

Principales composantes de l’intervention en médiation sociale

Les dispositifs de médiation présentent la constante d’être un mode de régulation relationnel [3]. Ils jouissent en cela d’une connotation positive en incarnant une idéalisation des rapports sociaux. Leur but est, d’une part, de rétablir par la présence d’un tiers les communications nécessaires à une meilleure entente des parties et, d’autre part, d’apaiser ou de modifier une situation antérieure jugée insatisfaisante. Plus singulièrement, les projets de médiation sociale sont le plus souvent financés par des politiques publiques(contrat de ville, contrats locaux de sécurité (CLS), subventions municipales…). Dans la pratique cela se traduit par l’instauration de médiateurs de quartier (expérience de Valence), de médiateurs sociaux (expérience de Lyon), de médiateurs de voisinage (expérience de Thionville), d’agents locaux de médiation sociale (dispositif national)… Malgré la variabilité sémantique des désignations, la médiation sociale se caractérise par la spécificité de son champ d’intervention (quartiers, villes), par sa mission spécifique de lutte contre la désagrégation sociale et, enfin, par la nature des conflits (problèmes de voisinage, relations difficiles entre plusieurs parties, actes d’incivilité…).

La médiation sociale se justifie par rapport à un dysfonctionnement communicationnel entre des habitants d’une territorialité circonscrite plus ou moins repérable. Elle a pour cadre contextuel une situation urbaine dite difficile (problème de délinquance, forte proportion de chômeurs, surreprésentation de populations immigrées, insalubrité de l’habitat collectif…). Le repli social, la crainte de l’autre, le sentiment d’insécurité, le jeu avec les règles de civilité (considérées indispensables pour le maintien de la cohésion sociale) sont désormais les habituels constats portés sur ces quartiers fragilisés. Constats tant de fois rebattus qu’un qualificatif semble suffire pour présenter les principaux attributs de ces quartiers « en dérive ».

Les dispositifs de médiation sociale visent aussi à trouver des solutions aux conflits et à permettre une régulation sociale [4], différente de celle mise en œuvre dans le secteur du travail social traditionnel ou au sein de l’institution judiciaire. Ces dispositifs proposent des procédures et des principes de régulation dans un environnement souvent qualifié de « non-droit ». L’ineffectivité, supposée ou réelle, de la régulation par le droit génère alors une régulation proche, souvent indigène et éloignée du système judiciaire institué. D’une régulation globale, on passe à une régulation locale, micro-urbaine assurée par des associations comptant jouer un rôle de premier ordre dans la régulation des rapports sociaux. La médiation sociale n’interpelle pas seulement l’institution judiciaire, mais aussi les modes traditionnels de l’action sociale. Les justifications d’ordre sociologique, de l’affaiblissement des instances de régulation apparaissent alors comme des arguments supplémentaires en faveur de la médiation dans les quartiers (Ben Mrad, 2002, p. 142).

Enfin, la médiation sociale traite prioritairement des actes d’incivilités portant sur les biens et les personnes ainsi que de certains actes de délinquance pouvant faire l’objet de poursuites pénales. La caractérisation de la nature du conflit est relativement difficile à apprécier dans la mesure où la frontière entre acte d’incivilité et acte de délinquance n’est pas toujours pertinente. La plupart des actes d’incivilité sont des actes non réprimés mais pour lesquels il existe une qualification juridique. En même temps, certains de ces actes peuvent difficilement faire l’objet de poursuites en raison, d’une part, d’une quasi-impossibilité de l’application des règles de droit : absence de preuves, absence de signalement ou de prise en compte de ce signalement par les autorités compétentes, indétermination des personnes mises en cause… D’autre part, la nature des différends est plus proche de comportements asociaux que délinquants : rassemblement de jeunes dans certains lieux du quartier créant ainsi des nuisances de différentes natures, provocations verbales et physiques, invectives [5]… Les services de police ne jouent d’ailleurs qu’un rôle très limité pour faire face à ces conflits qui révèlent souvent un manque de dialogue entre habitants. Ce rôle se cantonne le plus souvent à un rappel des règles de bon voisinage suivi d’un rappel des conséquences répressives en cas de récidive.

On pourrait schématiquement considérer que les actes de délinquance recouvrent la plupart du temps des faits pénalement sanctionnables, alors que dans les actes d’incivilité, les délits sont difficiles à apprécier en raison même de leur caractère indiscernable. L’incivilité renvoie à des comportements plus proches d’une transgression des normes de cohabitation communément admises que d’une transgression de la norme pénale. À la limite de la légalité, l’incivilité concerne donc les actes et les comportements entravant la vie en collectivité, pour lesquels le plus souvent il n’existe pas de dépôt de plaintes. Ces actes d’incivilité ont toutefois pour effet de conforter les exaspérations et les jugements à l’égard des auteurs supposés ou réels. Ils participent à favoriser les sentiments plus ou moins diffus d’insécurité et contribuent ainsi à renforcer les processus de stigmatisation sociale en direction des quartiers où ces phénomènes seraient plus observables qu’ailleurs. Réfutant les approches purement dissuasives et répressives, tendant à mettre à l’écart les personnes concernées, les principes de médiation affirment au contraire que la participation des protagonistes à la résolution de leurs différends et à la restauration des liens sociaux permet de réduire ces actes d’incivilité. La médiation apporte une réponse en montrant qu’il n’existe pas réellement d’instrument de lutte contre ces phénomènes d’incivilité sans l’implication des protagonistes.

Essai de clarification du champ de la médiation sociale

Il est difficile de délimiter le champ de la médiation à partir des usages professionnels de ce terme. En effet, l’inflation qu’il connaît dans les domaines les plus divers contribue fortement à générer des frontières relativement perméables et donc imprécises. Dans le champ social, ce terme est tantôt utilisé pour désigner des pratiques occasionnelles de certains professionnels (concierges, travailleurs sociaux, policiers…), tantôt il est employé pour dénommer le métier ou l’activité principale de ce métier. C’est cette dernière acception qui retient ici notre attention puisqu’il ne s’agit pas de comprendre la nature des fonctions de médiation attachées aux métiers existants mais de nous intéresser aux expériences de médiation qui se qualifient comme telles pour décrire l’ensemble de leur activité. Dans ce cadre, les médiateurs sociaux sont rarement recrutés à partir d’une qualification sanctionnée par un diplôme mais sur un savoir être, c’est-à-dire essentiellement sur des qualités personnelles d’écoute et de maîtrise de soi. Au contraire des médiateurs familiaux, ils ont un mode d’exercice très lié à leurs compétences ordinaires et expérientielles, et bénéficient au mieux d’une initiation très courte à la médiation. Tous doivent donc plus compter sur une certaine autonomie individuelle que sur un corps constitué et stabilisé de savoirs. Les activités de médiation sociale se déclinent ordinairement autour de deux types d’intervention (cf. tableau 1) : les expériences de régulation strictement orientées vers la résolution des conflits (1er type) et les expériences pour lesquelles il s’agit moins de désamorcer les conflits que d’endiguer les conduites inciviles et de rétablir le sentiment de sécurité (2e type).

Tableau 1 – Typologie des figures de la médiation sociale en France

La médiation orientée vers la résolution des conflits

Les expériences du premier type concernent souvent des médiations qui ont pour origine un conflit manifeste et dont la finalité vise une action réparatrice. Historiquement, c’est ce type de médiation qui est d’abord apparu en France au milieu des années quatre-vingt. Moins diffus que la plupart des expériences de médiation sociale d’aujourd’hui, il relève non pas de dispositifs nationaux (de type « emplois-jeunes »), mais d’expériences locales émanant de professionnels de la justice ou de militants associatifs. Cette médiation se définit par un mode d’exercice conçu à partir de son immersion dans le social et obéit à une logique du « bas vers le haut » (« bottom up »), c’est-à-dire que la fonction de justice est ici exercée à partir d’une reconnaissance acquise sur une territorialité très circonscrite, à l’échelle d’un quartier ou d’une ville (Commaille, 2000). Les médiateurs sont très majoritairement bénévoles, souvent âgés (pour la plupart à la retraite), ils appartiennent plutôt aux catégories socioprofessionnelles moyennes ou supérieures. Dans ce type de médiation, l’objectif est, pour reprendre une célèbre phrase de G. Apap [6], de « restituer le conflit au groupe qui l’a sécrété » et non de proposer une énième solution d’ordre juridique dont les conséquences ne font qu’aggraver les petits différends qui empoisonnent la vie de la cité (petites dégradations, bruits, problèmes relationnels…). La spécificité de ces actions de médiation sociale repose sur le souci de favoriser la participation des habitants dans la gestion des conflits et sur la volonté de répondre, en dehors des tribunaux, à une demande de régulation au sein des quartiers. Le travail du médiateur consiste alors à aider les parties à régler leur litige en s’appuyant essentiellement sur les principes d’équité, de neutralité et de responsabilisation. Classiquement, la procédure de médiation de ce premier type comporte diverses étapes relativement formalisées où les médiateurs reçoivent séparément puis conjointement les parties en conflit [7]. Il existe évidemment de multiples variantes (médiation directe, médiation indirecte…), mais les objectifs dans les différentes phases de la médiation consistent, tout en identifiant précisément les récriminations, à amener les parties à signer ou à s’engager explicitement sur des compromis fondés sur des règles d’équité qu’elles auront dégagées de leurs discussions.

Ces dernières doivent trouver elles-mêmes les solutions correspondant à la mise en œuvre de leur accord puisque le médiateur, en s’appuyant sur les principes de neutralité et d’impartialité, n’est pas un arbitre mais une tierce personne qui contribue à la prévention et à la résolution des différends. La promotion des modes de saisine fondés sur le volontariat est un autre principe essentiel qui permet de susciter la libre adhésion pour parvenir au consentement mutuel des « médiés » et ainsi favoriser la restauration du lien social. Les médiateurs visent alors l’amélioration des relations entre les parties en s’obligeant à dépasser l’exposé contradictoire des faits désignant, à l’instar du procès, victime et mis en cause. Conformément à la philosophie traditionnelle de la médiation, les médiateurs essaient de parvenir à la résolution du conflit en permettant la compréhension mutuelle des protagonistes et en incluant dans les protocoles d’accord, les règles futures de cohabitation.

Ces expériences de médiation fonctionnent la plupart du temps en binôme.Chacun des médiateurs agit en fonction de multiples déterminations (position, personnalité, interrelations…), mais leurs fonctions s’organisent autour de leur degré respectif d’implication dans la médiation. Généralement, l’un joue un rôle actif en intervenant dans la négociation, l’autre, plus en retrait des échanges, se place en position d’observateur. Cette configuration très courante permet traditionnellement d’instaurer un autocontrôle et de bénéficier des contributions mutuelles que s’apportent les médiateurs entre eux. Pour reprendre une distinction faite par L. A. Coser à propos des formes de conflits (1982), on peut avancer que dans ce type de médiation, le travail du médiateur tend plutôt à réguler des conflits réalistes, c’est-à-dire des différends provoqués par des heurts d’intérêts (matériels) ou des heurts de personnes (relationnels) et dont il existe des solutions possibles et tangibles pour les dénouer (conflits de voisinage, bruits, nuisances diverses…). Ces conflits réalistes peuvent être résolus à partir du moment où les parties parviennent à un résultat mutuellement partagé. Ce résultat est d’autant plus envisageable que l’objet du conflit s’avère relativement bien défini, ce qui n’empêche pas une objectivation le plus souvent antagoniste de son contenu. On pourrait dire qu’il existe dans ces conflits réalistes un fait litigieux bien identifié même s’il fait l’objet d’interprétations pouvant être opposées et contradictoires.

Les parties sont alors motivées par des solutions qui correspondent à leurs attentes et qui permettent un dénouement partiel ou complet, momentané ou durable de leur différend.

La médiation sociale orientée vers une restauration plus globale des rapports sociaux

Les médiations sociales concernent également des modes de régulation de situations dans lesquelles le conflit n’est pas toujours avéré ou perceptible. Elles se déroulent dans le cadre de dispositifs sociaux de type adultes relais ou de type emplois-jeunes appelés dans certains cas « agents locaux de médiation sociale » (ALMS) et, dans d’autres « médiateurs de quartiers ». Généralement il s’agit de médiateurs relativement précarisés, œuvrant dans le cadre des dispositifs « d’emplois aidés » destinés à lutter contre l’exclusion et l’absence de communication dans les quartiers défavorisés. À l’image des ALMS et d’autres expériences de médiation conçues dans le cadre de la politique de la Ville – notamment les contrats de ville et les contrats locaux de sécurité – c’est surtout à partir de 1998 que nous avons assisté à l’avènement de ces nouveaux acteurs de proximité. Ces dispositifs ont été impulsés par l’État et renvoient donc à un modèle de la fonction de justice obéissant à une logique « top down » (« du haut vers le bas ») basée sur une conception jacobine de la régulation (Commaille, 2000). Ici, les médiateurs ont pour mission générale de participer à l’amélioration des relations sociales en œuvrant autour de trois grands pôles d’intervention : l’animation à visée préventive dans les domaines sportifs, culturels et éducatifs ; le dialogue entre les populations et les acteurs institutionnels (transports publics, EDF, police…) ; enfin la présence dissuasive dans les périmètres dits sensibles. Autrement dit, leurs fonctions s’articulent autour de dimensions préventives, relationnelles et sécuritaires et ont pour objectif de renforcer les liens sociaux et d’améliorer les formes de sociabilité entre les personnes [8]. Dans ce cadre, la médiation se conçoit en dehors de l’existence d’un conflit manifeste puisqu’elle est plutôt orientée vers une restauration plus globale des rapports sociaux. Pour reprendre notre distinction, ces médiations tendent à traiter et à agir sur les conflits non réalistes. Si, comme nous l’avons montré, les approches traditionnelles de médiation sociale ambitionnent plutôt de réguler des conflits dits réalistes, c’est-à-dire de s’intéresser à des conflits où il existe un ou des objets sur lesquels porte la discorde ; ces dispositifs – majoritairement récents – visent plutôt à atténuer, voire à supprimer, les manifestations agressives et inciviles dans lesquelles les conflits d’intérêts, à proprement parler, n’existent pas.

Pour réduire les tensions et pour lutter contre les attitudes inciviles autour de certains lieux, les médiateurs exercent leur activité aux abords d’établissements publics (écoles, piscines, mairies…) ou encore dans les transports en commun. Cette activité consiste la plupart du temps à rappeler les règles de bonne conduite. L’exemple le plus typique étant les dégradations matérielles des parties communes d’une HLM ou les détériorations des biens publics dans une cité : abris bus, cabines téléphoniques… Les objets ne constituent pas alors les raisons de la dispute mais ils apparaissent propres à libérer l’agressivité. Les difficultés de régulation dans ces conflits non réalistes résident dans l’absence d’identification de l’objet réel du litige (ibid., p. 33). Le choix des objets n’apparaît dès lors pas directement lié à une question en litige, mais à la libération de tensions agressives ou belliqueuses, se traduisant par ce que certains appellent de la « violence gratuite [9] ». Le « manque de prise » en raison d’une absence d’objectif clair et d’objet précis du litige, caractérise donc ce type de conflit. L.A. Coser souligne au sujet de ces conflits que bien qu’ils puissent faire « intervenir l’action réciproque de deux ou plusieurs personnes, ils ne sont pas occasionnés par des rivalités antagonistes, mais par le besoin de libérer une tension qui existe au moins chez l’un d’entre eux » (ibid., p. 34).

Ces conflits non réalistes surgissent dans les situations de privations et de frustrations socio-économiques des personnes et dont les effets se répercutent sur leurs modes de socialisation. Du côté des « médiés », il n’est pas sûr en conséquence que les acteurs d’actes de dégradation ou délictuels soient convaincus que leur situation sociale justifient une médiation puisque celle-ci ne leur permettra pas de changer leur condition d’existence.

Interférences entre les deux dimensions de la médiation sociale

Il convient de souligner que notre distinction des médiations sociales, opérée à partir de la caractérisation des conflits ne doit pas être comprise de manière rigide. Même si cette différenciation semble relativement appropriée pour spécifier les différentes expériences du champ de la médiation sociale, nous sommes conscient qu’il existe dans la réalité de nombreuses interférences entre conflits réalistes et conflits non réalistes. La nature des conflits (cf. tableau 2) révèle qu’ils ne recouvrent pas toujours une seule dimension mais peuvent au contraire se définir par leurs caractères complexes, composites et enchevêtrés. Il apparaît alors que dans les conflits réalistes peuvent se surajouter des éléments non réalistes ; à l’inverse les conflits non réalistes peuvent être « exploités » à des fins réalistes (Coser, 1982, p. 41).

Tableau 2 – Nature des conflits en médiation sociale

Le premier cas de figure – existence d’imbrication d’éléments non réalistes (Coser, 1982, p. 41) venant se cristalliser sur un conflit réaliste –se rencontre dans les discordes qui font l’objet d’une médiation. Face à ce type de situation (par exemple dans les différends de voisinage), le souci du médiateur sera d’encourager l’abandon des dimensions passionnelles et agressives qui sont apparues et se sont exprimées au cours des interactions entre les parties. C’est surtout lors des différentes rencontres séparées ou conjointes du médiateur avec les « médiés », que celui-ci rappelle dans sa démarche de présentation, les règles de bienveillance et de rejet des conduites belliqueuses nécessaires à un dialogue qui se centre sur les griefs respectifs des interactants et non sur les débordements passionnels consécutifs à la situation de conflit. La politesse, l’absence d’agression verbale et physique, le respect d’autrui font partie de ce cadre que le médiateur entend préserver pour envisager la prise en compte de l’objet du conflit.

D’ailleurs beaucoup de médiateurs sociaux intervenant dans ce contexte jugent qu’ils ne sont pas compétents pour intervenir dans d’autres champs de la médiation où le conflit est fortement empreint d’éléments non réalistes. Pour eux, ces champs, à l’instar de la médiation familiale, demandent des compétences qui vont bien au-delà du respect des principes fondamentaux de la médiation (neutralité, impartialité, responsabilisation des parties…) et requièrent par conséquent des capacités singulières pour dénouer les imbroglios et les complications liés aux dimensions affectives, familiales et sociales des différends. Même si les qualités d’écoute leur paraissent indispensables pour bien comprendre les différents éléments du conflit et identifier les moyens les plus adéquats pour y mettre fin, la lecture des affaires se concentre sur les éléments « objectifs » du conflit, c’est-à-dire sur l’identification précise des récriminations discernables et tangibles et non, comme le précise un médiateur, « sur tous les problèmes qui noient le conflit dans les débordements personnels et les difficultés sociales des gens ». Cette identification débarrassée, dans la mesure du possible, de ses éléments non réalistes per-met de mieux baliser le cadre des interactions. Ici, la préoccupation du médiateur sera donc d’écarter au moins momentanément ces expressions du conflit car peu rationnelles et apparaissant souvent comme une entrave supplémentaire à sa résolution. Il sait que l’absence ou l’insuffisance d’un étayage visant à préparer les modalités de négociation entre les « médiés » sont consécutives d’une accumulation de données non réalistes difficilement objectivables dans la formalisation des accords.

Le second cas de figure – situation enchevêtrée caractérisée par un conflit non réaliste se prolongeant par des revendications de type réaliste – se rencontre relativement couramment dans les problématiques urbaines. Les actes « gratuits » de dégradations (c’est-à-dire sans motif apparent) commis par des adolescents et utilisés par eux comme un élément de preuve de la nécessité de créer de nouveaux équipements socioculturels est un exemple, souvent observé, de ce cas. Si les objets contre lesquels sont orientés les actes de délinquance apparaissent comme des moyens qui permettent la libération d’agressivité, ces mêmes objets deviennent par la suite une occasion pour parvenir à satisfaire une ou des revendications. Il convient d’ajouter que comparativement aux médiations du premier type (cf. tableau 1), ces types de médiation ne sont pas étayés par une procédure formalisée – comportant notamment les différentes phases de médiation avec, à chaque fois, les modalités particulières d’intervention qui s’y appliquent – mais obéissent à des cadres d’intervention plus erratiques, en tout cas plus informels et plus diffus.

Au-delà de ces questions relatives à la nature des conflits et aux procédures de médiation, il est nécessaire de nous intéresser plus précisément aux médiateurs qui traitent ces conflits non réalistes. Recrutés dans le cadre des emplois aidés (emplois-jeunes, adultes relais, contrat emploi ville…) et moins connus dans le monde de la médiation que les médiateurs du premier type [10], il s’agit surtout de saisir leurs modes de compétence et les principales problématiques que soulève leur activité. Parmi ces acteurs, les emplois-jeunes, qui sont très majoritaires dans le monde de la médiation sociale, apparaissent comme les figures emblématiques de ces récents métiers de la médiation.

Principaux enseignements des figures récentes de la médiation sociale

Il convient d’abord de rappeler que le contexte institutionnel participe à la définition des modalités d’exercice de ces médiateurs sociaux sous statut d’emplois-jeunes (cf. encadré 2). Ces emplois s’articulent autour de problématiques sociales dont la logique paraît obéir au souci de démultiplier les effets du dispositif (Charlot et alii, p. 48). En effet, il s’agit, d’une part, d’insérer par une politique d’emploi singulière des jeunes en situation professionnelle difficile. D’autre part, ces mêmes jeunes doivent recréer du lien social avec des usagers (notamment d’autres jeunes) qui, nous dit-on, sont en mal d’intégration.

Eu égard à cette double ambition, on peut reprendre ce que R. Castel (1995, p. 675) constate à propos « du passage des politiques menées au nom de l’intégration à des politiques conduites au nom de l’insertion ». Si les premières « sont animées par la recherche des grands équilibres, l’homogénéisation de la société à partir du centre [11] », les secondes « obéissent à une logique de discrimination positive : elles ciblent des populations particulières et des zones singulières de l’espace social, et déploient à leur intention des stratégies spécifiques » (ibid., p. 676). Castel précise cependant que ces dispositifs d’insertion ont échoué dans l’accompagnement d’une part importante de personnes en difficulté en raison notamment de « leur installation dans le provisoire comme régime d’existence » (ibid., p. 682).

Encadré 2 : « Emplois-jeunes » et métiers de la médiation

Les « nouveaux services emplois-jeunes » ont été créés par la loi 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement de l’emploi des jeunes. Ce dispositif avait pour objectif de développer des activités nouvelles répondant à des besoins émergents ou non satisfaits et présentant un caractère d’utilité sociale.

En mai 2004, environ la moitié des 40 000 postes contrats emplois-jeunes (CEJ) du secteur social est encore pourvue. Environ 15 % de ces emplois concernent les métiers de la médiation.

Il est prévu que les dernières sorties du dispositif CEJ auront lieu à la fin de l’année 2006.

La circulaire du 8 novembre 2002 met un terme aux CEJ tels qu’ils avaient été définis en 1997, pour proposer un nouveau dispositif appelé « contrat jeunes » qui est régi par la loi du 29 août 2002. Ces « contrats jeunes » peuvent être signés dans les secteurs marchands et associatifs avec des jeunes de 16 à 23 ans ayant un niveau de formation inférieur au baccalauréat. Il apparaît aussi que la fin des CEJ n’empêche pas les employeurs d’avoir recours à d’autres types d’emplois aidés (contrats jeunes, contrat emploi consolidé, contrats en alternance, dispositif adultes relais…) ou de transformer ces contrats en CDI, puisque déjà un quart des CEJ du secteur social bénéficie de ces CDI.

Sources : DREES ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité (Bonnardel, juillet 2003).

En considérant l’articulation des logiques de dispositif et des logiques d’acteurs, on peut dégager d’autres indications sociologiquement manifestes. D’après nos investigations empiriques, les activités de médiation ne semblent pas obéir, pour cette catégorie de médiateurs du second type, à une définition précise. Leur objectif vise surtout, par une démarche construite plus ou moins intuitivement, à être en contact avec des publics qu’ils soient habitants d’un quartier ou usagers des transports publics. Avant d’être sous statut emplois-jeunes, les médiateurs ont, pour beaucoup, une expérience (bénévole, animateur…) dans leur institution ou dans leur activité. En raison notamment de cette continuité dans leur ancrage institutionnel et dans leur trajectoire professionnelle, le changement de statut n’est pas obligatoirement synonyme de changement d’activité. Au contraire, on constate qu’il s’agit plus de consolider certaines tâches usuelles jugées insuffisamment assumées par les autres professionnels de l’action sociale que d’apporter une contribution novatrice [12]. Autrement dit, les missions visent à améliorer la prise en charge de tâches qui existaient déjà et rares sont ceux qui développent une rhétorique de la nouveauté pourtant très présente lorsqu’il s’est agi de créer des postes [13]. Les médiateurs parlent donc de renforcement des métiers existants, de missions qui se rajoutent aux fonctions premières d’une intervention sociale déjà labellisée. Le travail social classique, jugé trop « empêtré » dans ses tâches administratives et dans la gestion des divers dispositifs, les conduit à réinvestir des fonctions comme l’écoute, le dialogue ou la relation directe avec l’usager. La critique porte moins sur la formation des travailleurs sociaux traditionnels que sur l’exercice effectif de leur compétence en situation d’intervention. D’ailleurs, l’analyse de nos différents matériaux (entretiens et analyses des fiches de poste) nous conduit à affirmer que la grande majorité de ces médiateurs « emplois-jeunes » ont pour objectif d’intégrer une formation traditionnelle de travailleur social. Ils considèrent alors les activités de médiation comme une étape ou comme un tremplin vers un autre emploi, une occupation passagère garantissant une rémunération et l’acquisition d’une expérience qui peut être négociée sur le marché de l’emploi ; ces médiateurs évoquent d’ailleurs la possibilité plus grande aujourd’hui de faire valider leurs acquis professionnels. Indubitablement, il apparaît donc que la professionnalisation des médiateurs est pensée en dehors de la pérennisation de leur activité de médiation [14].

Enfin, si l’on se place d’un point de vue tant micro que macrosociologique, l’analyse de ces récents métiers de la médiation sociale montre qu’ils se situent entre le travail des professionnels de la sécurité chargés de la protection et de la répression, et celui des travailleurs sociaux qui traditionnellement développent une mission de prévention et d’accompagnement des publics en difficulté. Ceci est particulièrement patent dans les cas où les médiateurs agissent en tant que personnes relais des travailleurs sociaux tout en devant rendre compte de leur travail à des représentants des dispositifs « sécuritaires » comme ceux des contrats locaux de sécurité [15]. Ainsi, dans une commune à proximité de Thionville (Moselle), les médiateurs se vivent comme des agents assurant des fonctions d’orientation en direction des travailleurs sociaux, mais ils doivent aussi de façon hebdomadaire faire un bilan oral précis à l’adjoint de la commune chargé des questions de sécurité et répondre au moins en partie à ses injonctions de couvrir le territoire d’intervention avec des missions de présence et de veille sécuritaires.

Plus significatif, ces métiers, à l’instar de ceux de la sécurité, semblent être massivement investis par des personnes d’origine africaine et nord-africaine [16]. Le double objectif de ces dispositifs qui visent à lutter contre le chômage et à renforcer la sécurisation des biens et des personnes, n’est pas entièrement étranger à ce constat. Les populations étrangères ou d’origines étrangères sont plus que les autres catégories sociales exposées au chômage et subissent les effets de la montée des incivilités, on comprend que cette spécificité ethnique, ou plus précisément phénotypique [17] soit pour les employeurs un critère de recrutement des candidats. Il convient même d’avancer – si notre constat relatif à la surreprésentation d’une catégorie de personnes est par ailleurs quantitativement attesté – que nous assistons à une politique implicite de discrimination positive fondée sur l’origine des individus. Ce constat ne nous dispense pas de considérer que cette surreprésentation des jeunes issus de l’immigration dans ce secteur d’emploi est multicausale. D’une part on peut supposer qu’elle est le résultat d’une attirance personnelle des jeunes vers ces métiers jugés peu salissants et peu pénibles [18], et d’autre part qu’elle est la conséquence d’une approche volontariste des employeurs pour se doter d’un personnel familiarisé avec un environnement spécifique d’intervention.

Pourtant, il convient de s’interroger sur cette proximité sociale et identitaire qui s’édifie implicitement, selon nous, sur une conception singulière de la compétence. Elle présuppose que cette compétence est plus facilement efficiente quand elle est réalisée par les « gens du cru » pour reprendre les termes d’un médiateur. Autrement dit, ces médiateurs au contraire des autres professionnels – qui peinent à instaurer une relation de confiance et d’autorité avec certains jeunes – sont des interlocuteurs susceptibles de renforcer la paix sociale en raison de leur appartenance socio-ethnique. Leurs connaissances des valeurs du groupe et des systèmes de normes en vigueur acquises grâce à leur proximité sociale leur permettraient d’agir avec à-propos et surtout d’appuyer leur intervention sur des leviers inexplorés par les autres professionnels. Cette exploration singulière n’est elle-même possible que s’il existe une proximité sociale entre les médiateurs et les usagers puisque la réussite de l’action est déterminée par les représentations respectives des interactants [19]. Une même intervention peut donc soit attiser une situation conflictuelle, soit l’atténuer, tout dépend du degré de légitimité identitaire que l’usager accorde au médiateur [20]. S’agit-il pour autant d’une instrumentalisation des caractéristiques socioculturelles ou d’un opportunisme pragmatique fondé sur une approche utilitariste de l’intervention sociale ? Nos réponses sont certes partielles mais nous conduisent à être vigilant sur cette question de l’ethnicité rapportée à l’activité professionnelle. D’autant que la médiation telle qu’elle est aujourd’hui développée dans les quartiers s’achemine progressivement vers un mode de régulation en partie fondé sur la surveillance communautaire. On pourrait alors avancer que la régulation des conflits et la prévention des actes de délinquance s’ethnicisent dans les quartiers dans la mesure où l’on assiste à une remise en cause des « derniers représentants » n’appartenant ni géographiquement, ni socialement à ces mêmes quartiers. Désertés trop souvent par les administrations, les travailleurs sociaux, les enseignants et les chauffeurs de bus sont les « derniers » professionnels extérieurs à ces quartiers d’intervention. L’empressement à trouver une nouvelle affectation pour les premiers, la remise en cause des compétences des seconds, et l’exaspération exprimée par les derniers quant à leurs conditions de travail [21], laissent présager une dérive : les services seraient assurés par des représentants communautaires : les intervenants sociaux seraient alors majoritairement composés de grands frères et de médiateurs sociaux. Dans l’enseignement ne resteraient que des militants de la justice sociale et les chauffeurs de bus ne seraient que des salariés en attente de mutation sur une autre ligne de transport.

Ce type de prospective fondée sur l’observation de certaines tendances sociologiques est certes spéculatif mais pourtant vraisemblable. À l’image des expériences récentes de médiation qui préfigurent un mode d’intervention marqué par la régulation communautaire n’assistons-nous pas à une spécialisation « ethnotypique » de certaines fonctions ?

Conclusion

En conclusion, on peut dire que lorsque l’on étudie les activités relativement disparates de médiation sociale, les analyses de Coser apparaissent particulièrement pertinentes pour indiquer les correspondances qui existent entre la nature des conflits et les missions des médiateurs. D’une part, il est indubitable que les expériences de médiation en milieu urbain s’inscrivent dans des procédures tendanciellement orientées vers la résolution des conflits manifestes. D’autre part, ces expériences se traduisent dans des actions de restauration de la paix sociale liée à des conflits latents non réalistes, disparates dans leurs manifestations et indéterminés dans leur objectif. Cette distinction tirée de notre grille de lecture n’a pas d’autre ambition que celle de faciliter l’intelligibilité de ce monde relativement nébuleux. Elle nous a permis de mieux comprendre, dans le champ très large de l’intervention sociale, les initiatives relativement récentes (si nous les comparons aux expériences plus traditionnelles du travail social).

Il apparaît que la présence des médiateurs sociaux du second type, comme les agents locaux de médiation sociale, est justifiée par une situation désignée comme problématique et se focalise sur les symptômes de l’insécurité plutôt que sur ses causes. En conséquence, nous avons moins à faire à des actions de fond – qui permettraient d’endiguer les processus d’exclusion et surtout d’établir une coexistence orientée vers la restauration des liens sociaux – qu’à une logique fondée sur une rationalité pragmatique et gestionnaire.

Les acteurs ajustent, adaptent ou transforment, en fonction de contingences structurelles et institutionnelles et en fonction de choix individuels, les dispositifs dits de médiation. Leurs pratiques révèlent des logiques disparates et hétérogènes liées aux réalités locales et institutionnelles, mais aussi à un ensemble d’enjeux complexes qui n’écartent pas les jeux d’acteurs. Il est difficile dans ces conditions de dégager des référentiels communs et de considérer que nous avons à faire à un nouveau groupe professionnel en voie de constitution. Une grande partie des activités développées par ces médiateurs n’est pas nouvelle, au contraire de ce qui justifiait ces dispositifs (ALMS), les modes d’intervention viennent plutôt renforcer les tâches, notamment la présence sociale jugée le plus souvent insuffisante.

La nouveauté vient de l’appellation et de l’importance numérique d’une catégorie de personnel défini par la précarité de son statut et par sa proximité socioculturelle avec les usagers [22]. Le profil phénotypique en tant qu’attribut de la compétence incarne un présupposé quant au type de rapports sociaux que ce profil induirait dans le mode de traitement social de la déviance.

Bibliographie

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  • ROCHE S., Tolérance zéro ? Incivilités et insécurité, Odile Jacob, 2002.
  • TREPOS J.-Y., Sociologie de la compétence professionnelle, PUN, Nancy, 1992.

Notes

[1]

Dans ces domaines, les procédures, les modalités d’intervention et le statut des médiateurs font en effet l’objet d’une législation plus ou moins précise. La médiation pénale est notamment régie par les lois du 4 janvier 1993 et du 23 juin 1999, tandis que la médiation familiale est réglementée par un décret du 2 décembre 2003 (no 2003-1166) et par un arrêté du 12 février 2004. Contrairement à ces deux champs d’intervention, la médiation sociale ne relève d’aucune disposition juridique particulière.

[2]

Pour une présentation détaillée de notre outillage méthodologique, se reporter à notre travail de thèse soutenue sous la direction de Jean-Yves Trépos, le 1er juillet 2003, (« Sociologie des pratiques de médiation, entre principes et compétences », université de Metz).

[3]

Nous reprenons dans cette partie relative aux composantes de la médiation, des éléments que nous développons dans notre ouvrage (Ben Mrad, 2002).

[4]

Ce terme de régulation sociale renvoie à des activités sociales qui ont pour souci de favoriser les relations, le dialogue et les formes de sociabilité. Il se fonde sur les responsabilités individuelles et collectives et sur les capacités des individus à dégager les modalités de leur cohésion sociale. Cette régulation a une portée « morale » au sens durkheimien du terme puisqu’elle est source de solidarité et participe à la construction du lien social en posant la question du « vivre ensemble » et en ambitionnant de dépasser les seuls intérêts individuels des personnes.

[5]

Pour une analyse détaillée des notions d’incivilité et de délit, le lecteur pourra se reporter aux travaux de Sébastien Roché, notamment son ouvrage Tolérance zéro ? Incivilités et insécurité, Éditions Odile Jacob, 2002.

[6]

Ce magistrat est l’initiateur d’une des premières expériences de médiation en 1985, à Valence dans la Drôme.

[7]

Cette démarche est similaire à celle de la médiation familiale, scolaire ou pénale.

[8]

Les employeurs de ces médiateurs sont majoritairement des mairies, des associations, des sociétés de transport public et des bailleurs sociaux.

[9]

La distinction opérée par L.A. Coser entre ces deux types de conflit permet, selon lui, de penser que leurs manifestations ne sont pas aussi insensées, absurdes et irrationnelles, notamment pour ces conflits non réalistes qui se définissent, pourtant en premier lieu, par leur absence d’objectif et d’objet précis.

[10]

Pour un approfondissement sur ces médiations sociales orientées vers la résolution de conflits et développées la plupart du temps par des bénévoles, nous renvoyons le lecteur aux travaux de J.-P. Bonafé-Schmitt, P. Milburn et F. Ben Mrad.

[11]

Ces politiques d’intégration visent notamment la réduction des inégalités sociales et l’amélioration de la condition salariale.

[12]

Il apparaît que certaines associations ou collectivités ont même profité de ce dispositif « emplois-jeunes » pour officieusement confiner les médiateurs à des tâches relevant de secteurs déjà existants (animations socioculturelles notamment) et non à des postes relevant de missions nouvelles comme le prévoyait officiellement le dispositif. À titre d’exemple, on peut citer des structures de centre de loisirs pour la jeunesse (CLSH) qui fonctionnent avec des emplois-jeunes appelés animateurs/médiateurs alors que cette fonction n’est ni nouvelle, ni ne correspond à des besoins émergents non satisfaits (comme le prévoit le dispositif).

[13]

Dans le domaine de la sécurité, les fonctions réellement assumées par les emplois-jeunes de la police nationale (ADS, adjoints de sécurité) ne revêtent pas non plus un caractère novateur. D’après C. Gorgeon (2000, p. 89), la nature des activités des ADS est identique à celle des gardiens de la paix. Ces derniers ont par contre tendance à se décharger sur les ADS de certaines tâches qui ne demandent pas de qualification particulière et qui sont considérées plutôt comme peu valorisantes.

[14]

Ce constat observable avant la décision du gouvernement Raffarin de progressivement supprimer ce dispositif « emplois-jeunes » est évidemment encore plus marquant aujourd’hui en raison même de l’effet que cette renonciation peut produire chez les intéressés.

[15]

Faut-il le rappeler que les ALMS qui ont été recrutés dans le cadre de ces CLS devaient, selon les objectifs de ce dispositif, lutter contre l’insécurité et notamment les incivilités et la délinquance des mineurs.

[16]

La forte relation entre métier et origine ethnique des individus est en effet également observable chez les agents de sécurité privée d’origine africaine. Un phénotype particulier semble même être recherché par les employeurs dans ce secteur d’activité (grand, noir, sportif). Voir les travaux de Pascal Hug (« Les agents de sécurité privée noirs : un exemple de discrimination dans le monde de la sécurité », in Les Cahiers de la sécurité intérieure, 2e trimestre 2000, p. 93-117).

[17]

On peut dès lors définir le phénotype moins comme un ensemble de dispositions professionnelles que comme un ensemble de caractères qui s’incarnent dans l’apparence physique des personnes. Il convient aussi d’ajouter qu’il n’existe pas, en France, d’étude quantitative sur le profil phénotypique des médiateurs sociaux. Ce type de problématique renvoie à un débat plus large et très controversé des démographes sur la nécessité ou non de ne retenir que le seul critère de nationalité pour rendre compte d’une des composantes de l’identité sociale. En France, la construction d’indicateurs statistiques à partir des critères « d’origine » ou « d’appartenance ethnique » est strictement encadrée, voire prohibée. Or indubitablement le seul critère de nationalité s’avère insuffisant pour appréhender les réalités phénotypiques des activités professionnelles.

[18]

Le désir est d’autant plus fort que pour certains médiateurs d’origine étrangère qui ont connu les formes de discrimination à l’embauche, ces emplois constituent par défaut une solution à leur situation professionnelle. Autrement dit, ce statut et ce champ d’intervention peuvent être considérés comme une opportunité pour échapper à des secteurs d’emplois jugés par les jeunes peu accueillants, réfractaires, voire xénophobes (administration, banque, commerces…).

[19]

Dans le champ de l’éducation nationale B. Charlot et alii (2000, p. 47-63) font le même type de constat avec l’emploi des aides-éducateurs. Ils montrent que la proximité identitaire entre ces intervenants et les élèves sont opératoires dans les tâches de surveillance et de suivi pédagogique. « La connivence culturelle que les aides-éducateurs ont avec les élèves leur permet de réagir avec justesse et justice aux “tests” des élèves alors que d’autres seraient amenés soit à “sur-réagir”, soit à se laisser déborder. Si la proximité socioculturelle existante entre aides-éducateurs et élèves permet aux premiers de mieux lire le comportement des élèves, elle modifie aussi la nature des réactions des élèves. Elle va en quelque sorte asseoir l’autorité dont les aides-éducateurs vont bénéficier auprès des élèves » (ibid., p. 57-58). Ces processus sont aussi patents dans le champ de l’action sociale traditionnelle et particulièrement dans celui de l’animation sociale urbaine.

[20]

Ce processus n’est pas patent avec les usagers de la génération des parents dans la mesure où la proximité culturelle ne suffit pas puisque l’âge apparaît déterminant dans l’établissement de ce type de relation surtout dans les familles maghrébines de France où le « patriarcat » et le droit d’aînesse sont encore relativement efficients dans les relations sociales.

[21]

Il suffit de relater le nombre important des conflits collectifs du travail liés aux questions de sécurité dans les transports, pour constater les difficultés des personnels roulants à exercer leur métier dans les quartiers « difficiles ».

[22]

Plus symptomatique, l’observation de ce monde de la médiation sociale nous fait penser, toutes proportions gardées, aux structures privées (centres commerciaux, galeries marchandes, restauration rapide…) qui recourent à du personnel de sécurité appartenant à des groupes ethniques particuliers.

Résumé

Dans cet article, l’auteur propose une typologie des figures de la médiation sociale telles qu’elles se développent en France. En adoptant une démarche inductive qui prend en compte la variété des expériences observables dans ce champ de l’intervention sociale, F. Ben Mrad relève les principales composantes qui caractérisent les pratiques de médiation en milieu urbain. Malgré la diversité des appellations et des missions, il dégage de cette nébuleuse deux grandes figures idéal-typiques. D’une part, il distingue les expériences de régulation orientées vers la résolution des conflits, d’autre part les expériences visant à lutter principalement contre les conduites inciviles et le sentiment d’insécurité. Ces deux figures renvoient à des modalités d’intervention et à des types de différends spécifiques que les médiateurs tentent de traiter. Les apports de L. A Coser sur les formes de conflits semblent particulièrement pertinents pour différencier ces figures de la médiation. Cette typologie s’appuie aussi sur les profils spécifiques de certains acteurs de la médiation très marqués par leur appartenance et par leur proximité socioculturelles au quartier. Elle permet enfin d’interroger les principes plus ou moins implicites sur lesquels se fondent ces pratiques de médiation et de relever les problématiques que ces fonctions soulèvent en termes de compétence et d’ethnicité.