Faut-il attendre la promulgation d’une loi pour développer la médiation ?
Dans le droit positif tunisien, il n’existe aucune disposition qui définit la médiation, régit son déroulement et ses éléments essentiels tel que le statut du médiateur, ses compétences, sa formation, sa déontologie, les étapes de la médiation judiciaire, le rôle du juge dans la proposition du médiateur ou encore les effets du processus sur le déroulement de la procédure judiciaire.
Plusieurs projets de loi sont en cours. D’aucuns considèrent que la promulgation de la loi est indispensable pour mettre la médiation en pratique. Il y va selon eux, de la sécurité des justiciables.
D’autres considèrent que le droit positif regorge de dispositions générales et spéciales qui permettent la mise en marche des médiations tant judiciaires que conventionnelles, cela sans attendre.
Le Code des Obligations et des Contrats consacre le règlement amiable par le biais de la transaction. Ce code, promulgué le 15 décembre 1906 est l’un des plus anciens textes juridiques encore en vigueur en Tunisie. Il définit la transaction dans son article 1458 : « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent ou préviennent une contestation moyennant la renonciation de chacune d’elles à une partie de ses prétentions réciproques, ou la cession qu’elle fait d’une valeur ou d’un droit à l’autre partie ». La transaction est donc l’aboutissement d’un accord, sa concrétisation. Ce texte ne décrit pas les moyens utilisés pour atteindre cet accord. La transaction pourrait être l’aboutissement fructueux d’une négociation classique, d’une négociation raisonnée, d’une conciliation et aussi d’une médiation.
Cet article en lui seul permet la mise en pratique du processus de médiation entre des parties en conflit.
Des questions juridiques restent en suspens, notamment celle de la renonciation à une partie des prétentions de chacun. La médiation pouvant aboutir à un accord où l’ensemble des besoins des parties est pris en compte, sans renonciation. Reste alors à définir le terme prétention. Assimilée à une position, il est concevable qu’une partie renonce à ses positions pour répondre à ses besoins de manières différentes.
Le deuxième questionnement est celui de l’exécution de l’accord de médiation dans sa qualification juridique de transaction. En cas de non-respect d’une transaction, les parties devront faire un recours en exécution devant les tribunaux. L’homologation de l’accord de médiation n’étant pas prévue dans la législation actuelle.
Pour ce qui est de la médiation judiciaire, l’article 86 premier alinéa du Code de Procédure Civile et Commerciale dispose que « le tribunal peut, s’il le juge nécessaire, faire procéder (…) à toutes mesures d’instruction (…) » et l’article 91 du même code précise qu’ « en cas de conciliation ou de transaction au cours des opérations d’instruction, le juge rapporteur en dresse un rapport détaillé qui doit être signé par les parties ou revêtu, le cas échéant, de leurs empreintes digitales, ou mentionner qu’elles n’ont pu le faire et renvoie l’affaire devant le tribunal ».
Même si ce texte ne mentionne pas expressément que le juge rapporteur peut proposer une médiation aux parties, il n’exclut pas cette possibilité et prévoit clairement la possibilité pour les parties de trouver un accord par transaction en cours d’instruction.
La généralité des termes de ces articles permet au tribunal de proposer une médiation aux parties. Cette lecture est renforcée par l’absence d’interdiction de proposer une médiation.
A ces textes généraux s’ajoutent des dispositions spéciales qui citent expressément la médiation comme la médiation pénale ou la médiation universitaire.
C’est en se basant sur ces textes que des expérimentations de médiations judiciaires ont pu avoir lieu dans les tribunaux tunisiens. Ainsi, le 03 mai 2021, une jurisprudence sans précédent a vu le jour : L’arrêt n° 56180 de la Cour d’Appel de Monastir qui a homologué un accord de médiation à la suite d’une médiation proposée aux parties en cours d’instance dans une affaire civile relative à un trouble de voisinage qui a persisté pendant d’interminables années.
A la question de savoir si en l’état actuel du droit positif tunisien il est possible de pratiquer la médiation, la réponse est oui. Il est sûr que la promulgation d’une loi qui assurerait un cadre légal, gage de confiance, tout en préservant la souplesse et la flexibilité du processus, faciliterait le développement de la médiation en Tunisie.
Cependant, comment préparer le terrain à une loi idéale si ce n’est par l’expérimentation ? Le développement de la pratique de la médiation avant la promulgation de la loi ne permettrait-il pas un apprentissage fait d’ajustements et de réajustements qui feront que cette loi soit adaptée au terrain tunisien et réponde de façon pragmatique aux besoins de la société tunisienne ?
Quelles actions pourrions-nous mettre en œuvre pour faciliter le développement de la médiation dans l’attente de la loi tout en garantissant le respect du processus et en gagnant la confiance de l’ensemble des acteurs ?
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Samira Laouani
Médiatrice et avocate