Christophe Baconnier, conseiller au pôle social et magistrat coordonnateur de la cour d’appel de Paris pour la conciliation et la médiation, nous livre sa vision de la mission du juge et son approche de la médiation dans la pratique judiciaire, fort d’une expérience professionnelle de plus de vingt-cinq années.
Il fait partie des magistrats qui ont donné l’impulsion à la pratique judiciaire de la médiation après avoir constaté que nombre de décisions juridiquement fondées ne purgeaient pas le conflit.
Le métier de magistrat n’était pas sa vocation initiale. Christophe Baconnier entre dans la vie professionnelle après des études de théologie. Son « humanisme catho » le pousse à vouloir être éducateur spécialisé dans la réinsertion des détenus. Ce sera à la prison de Fresnes, « un lieu où il y avait des gens que l’on pouvait remettre en chemin pour les aider à trouver leur voie ». Il monte plusieurs projets en partenariat avec le juge de l’application des peines (jap) tout en préparant le concours de l’inspection du travail, qu’il réussit. Alors qu’il s’apprête à prendre ses nouvelles fonctions, il est interpellé par un ami magistrat : « Pourquoi ne deviendrais-tu pas juge ? » C’est le déclic ! Il ne tardera pas à explorer les voies de la médiation. Auditeur de justice à l’ENM (l’École nationale de la magistrature), il met en place une institution de médiation alors qu’il est encore stagiaire dans un établissement public ! Devenu magistrat, ses attributions varient au fil des années : juge aux affaires familiales (jaf), substitut du procureur, juge d’instance, président de section, puis conseiller au pôle social de la cour d’appel de Paris. Prescripteur infatigable de la médiation, il la proposera chaque fois que la décision judiciaire lui semble incomplète.
Inter-médiés : Quel regard portez-vous sur la mission du juge en ce début de XXIe siècle ?
Christophe Baconnier : Il y a des difficultés liées à l’inadaptation des moyens ou à des conditions de travail sensiblement dégradées et, en même temps, la mission de justice est tellement importante que le juge ne doit pas passer à côté des enjeux et donc de ce qui se passe pour les justiciables. Notre rôle de magistrat – je parle en tant que praticien civiliste –, est confronté en permanence à ce paradoxe : trancher les litiges selon la règle de droit applicable sans oublier l’exigence d’humanité. À l’ENM, un haut magistrat nous a donné ce conseil : « Vous êtes sans doute de bons juristes, mais cela ne suffira pas. Ce qui fera de vous de bons juges, c’est que vous appliquerez la loi avec humanité ! » Cela ne veut pas dire que le juge peut faire ce qui lui paraît juste, même si la vertu de justice n’est pas loin. Seule l’application de la loi guide sa plume. Il lui arrive de corriger l’effet injuste d’une loi si celle-ci conduit à une solution inappropriée, mais sa marge de manœuvre reste limitée, c’est pourquoi la médiation devrait se développer. Prendre le temps d’écouter est essentiel à l’audience : le temps ne se mesure pas en heures, mais en minutes de qualité. L’exigence d’humanité se retrouve ainsi dans la manière de faire et de dire. Et l’écoute, n’est-ce pas l’un des fondamentaux de la médiation ?
Nous y voilà ! La médiation fait partie des modes de règlement des litiges. Le cadre réglementaire mis en place vous paraît-il suffisant ?
Lorsqu’il n’existait, il y a vingt-cinq ans, qu’un cadre embryonnaire, c’est la volonté manifestée par des associations et certaines juridictions qui a permis de créer « ces autres voies de justice ». Il fallait un encadrement et c’est tant mieux qu’il ait été institué et complété. L’absence d’encadrement permettait l’éclosion, certes, de beaux projets, mais aussi de dérives liées au clientélisme individuel de personnes inscrites sur des listes, sans réelle compétence ni formation. Cependant, ce n’est pas un cadre de textes qui va promouvoir les MARD. Ce sont plus, à mon avis, les initiatives nées de la volonté des acteurs concernés. C’est aux acteurs d’inventer la médiation et de la rendre nécessaire par la qualité de son résultat. À cet égard, je fais plus confiance à des associations de médiateurs ou des institutions qu’à des médiateurs isolés, dès lors que les centres de médiation garantissent au juge la qualification de l’intervenant. La présence de médiateurs aux audiences du pôle social de la cour d’appel de Paris est un exemple d’initiative permettant de développer le recours à la médiation, même si cela ne représente encore que 5 à 10 % des affaires traitées.
Quel est l’objectif fondamental du recours à la médiation ?
Je veux d’abord dénoncer un faux motif, que je trouve pitoyable, suivant lequel l’objectif de la médiation est de désengorger les tribunaux. Il véhicule l’image d’une justice à bas coût en mode dégradé. Ceci dit, il est temps aujourd’hui d’admettre que, dans notre société, tout le monde a intérêt à repenser la régulation des litiges autrement que par le seul recours à l’institution judiciaire. Je n’hésite pas à affirmer que faire un procès doit devenir le mode résiduel, l’exception, quand tout le reste, les MARD ont échoué, il faut inverser le modèle !
N’y a-t-il pas là un risque de dénaturer la médiation en la judiciarisant à l’excès comme l’a récemment rappelé la première Présidente de la cour d’appel de Paris ?
Oui, sachant que la finalité de la médiation n’est pas de trouver un accord qui ressemblerait à une décision de justice. J’affirme que la médiation est encore si marginale qu’il faut prendre le risque de l’inventer et de la faire vivre de manière autonome. Je n’hésite pas à utiliser mon pouvoir d’influence lorsque je sens une partie réticente alors que le seul enjeu du dossier est l’intérêt bien compris des deux parties. Le but recherché est de laisser les parties construire elles-mêmes la solution répondant à leurs besoins essentiels, là où le juge n’aurait pu avoir la réponse appropriée. Je dis aux parties, lorsqu’elles ont répondu oui à ma proposition de médiation : « Vous n’abandonnerez que ce que vous voulez bien abandonner, vous préserverez ce que vous voulez préserver. »
Quels sont vos critères pour proposer une médiation ?
En fait, je procède surtout par identification des critères d’exclusion : « Qu’est-ce qui contre-indique la médiation ? ». Par exemple, la question de droit qu’il est demandé au juge de trancher ou encore l’existence de prédation objective, type harcèlement sexuel, en présence d’une partie vulnérable.
Quel est le bon moment pour proposer une médiation ?
Le meilleur moment reste l’audience de mise en état où l’on présentera la médiation, à défaut avant les plaidoiries et le cas échéant, après. Si elle est acceptée, c’est avec le concours des avocats qui sont de plus en plus formés à la médiation.
Le médiateur doit-il être familier de l’environnement professionnel des parties ?
Ce n’est pas déterminant. Pour moi, tout se joue avec la reformulation. Si le médiateur est capable de se connecter à ce qui est vivant dans ses interlocuteurs, il a toute sa place. Pas besoin de recettes ou de tout modéliser, laissons s’exprimer notre part d’humanité.
Pour conclure, êtes-vous optimiste sur l’avenir de la médiation judiciaire ?
J’ai au moins l’espoir que l’œuvre de justice se poursuive par d’autres voies plus appropriées que l’application de la règle de droit, qui provoque trop souvent un sentiment d’injustice.
Propos recueillis par Patrice Coster
Inter-médiés N°2 – 21/12/2017 – P2MinTmeD7102