Pour dénouer un conflit de groupe, il faut parfois encourager l’expression des désaccords !

Par Jean Poitras et Solange Pronovost 

Référons-nous à un contexte auquel bon nombre de gestionnaires et d’intervenants ont été confrontés. Vous facilitez une discussion avec un groupe en situation conflictuelle. Lors des rencontres privées, presque tout le monde vous a mentionné en avoir assez des comportements d’un des leaders négatifs. Mais voilà que durant l’entretien collectif, personne n’ose parler comme si au fond, les choses n’étaient pas si pires. Est-ce que les gens ont exagéré lorsqu’ils se sont entretenus avec vous? Comment expliquer l’apparente «harmonie» alors que vous savez que plusieurs pensent qu’il y a un problème? Selon le psychologue Irving Janis, vous faites face probablement à ce qu’il identifie comme étant la pensée de groupe. Mieux comprendre ce fait observable constitue un atout majeur pour les professionnels qui animent des échanges avec des équipes aux prises avec un conflit.

En n’osant pas exprimer les désaccords, un groupe peut prendre des décisions nuisibles, voire illogiques.

On peut définir la pensée de groupe comme un phénomène psychologique qui se produit au sein d’un groupe de personnes pour lesquelles le désir de concorde entre elles les amène à tenter de minimiser les conflits en supprimant activement les points de vue divergents. Lors d’un différend, il s’agit donc d’un mécanisme de défense visant à préserver le statu quo de peur que les choses empirent si on aborde un sujet difficile. En fait, il n’est pas rare qu’afin d’obtenir une véritable conversation, l’intervenant doive comprendre et briser ce processus. 
Pensée de groupe en contexte de conflit. Dans une telle situation, la pensée de groupe se forme généralement de la façon suivante. Les débats entre les membres des clans créent beaucoup de tensions relationnelles, ce qui les rend mal à l’aise. Pour éviter ces émotions négatives, les gens développent le réflexe de contourner les sujets de discordes. Et quand quelques personnes soulèvent des points litigieux, la majorité garde le silence pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. La pensée de groupe conduit alors au maintien de la dynamique dysfonctionnelle qu’aucun individu ne veut mettre en lumière de peur de raviver le conflit. À la longue, non seulement esquive-t-on les questions de désaccord, mais on en vient à croire que de toute façon, rien ne peut être fait pour les régler. 
Impact et gestion de la pensée de groupe. Si la pensée de groupe réussit à conserver une certaine harmonie de surface parmi ses membres, elle nuit considérablement aux efforts de résolution. En effet, pour désamorcer un conflit, il faut parler ouvertement de celui-ci. Ainsi, lorsque le phénomène est présent, les gens n’osent pas exprimer leur opinion ou parler des sujets délicats. On risque alors d’avoir des conversations superficielles et des faux consensus. Or, pour résoudre une situation conflictuelle, il faut changer les schèmes de pensée! Cela n’est possible qu’en abordant de front les éléments litigieux. Gérer l’effet de la pensée de groupe est donc important si on veut s’assurer que les discussions ne passent pas à côté des vrais enjeux ou ne révèlent pas les véritables points de vue. 
À cet effet, la littérature propose quatre stratégies qui peuvent être adaptées lors d’un échange entre les personnes impliquées dans un conflit : 

  •  Expliquer le phénomène. Il s’agit tout simplement de le décrire au groupe afin que les membres en prennent conscience et admettent que parfois ils en sont victimes. L’intervenant les incite alors à faire un effort pour ne pas taire les désaccords en leur expliquant entre autres l’importance de tout mettre sur la table. 
  • Rassurer les gens sur le fait que les débats seront constructifs. Pour beaucoup de personnes, la crainte que les discussions déraillent est souvent suffisante pour les amener à se taire. Il est donc nécessaire que l’intervenant précise la façon dont il encadrera les pourparlers afin que ceux-ci restent courtois. Si on veut que les participant(e)s s’expriment, ces dernier(ère)s doivent avoir confiance que le dialogue ne dérapera pas. 
  • Encourager les leaders à moins parler. La présence de ces meneurs exacerbe habituellement le phénomène de la pensée de groupe. En effet, les subalternes hésitent généralement à émettre une opinion différente de celle de leur supérieur ou de certains de leurs collègues influents. Sans les exclure des échanges, l’intervenant doit les encourager à prendre le moins de place possible. Il peut notamment les inviter à ne pas s’exprimer en premier, mais plutôt à la fin. 
  • Utiliser des petits groupes de discussion. Une stratégie efficace consiste à former des sous-groupes pour ensuite mettre en commun les conclusions de chacun d’eux. À cet égard, il est prouvé qu’il est plus facile de donner son point de vue librement en présence d’un plus petit nombre de personnes que lorsqu’elles sont plusieurs. De plus, si les propos des sous-groupes sont ramenés à l’ensemble de façon agrégée (ou dans un tout), les gens seront encore plus confortables de partager leur opinion. 

Un des défis associé à la gestion d’un conflit de groupe est de donner une voix à la majorité silencieuse. C’est souvent la clé pour redresser la dynamique qui s’y est installée. Mais pour ce faire, il faut créer un contexte qui sera propice pour que ces personnes puissent s’exprimer; ce qui n’est pas nécessairement le cas en situation conflictuelle. En effet, le phénomène de la pensée de groupe peut inhiber l’expression de certains enjeux qui doivent être discutés pour la résoudre. C’est dans cette perspective que pour dénouer ce genre de situation, il faut parfois encourager la verbalisation des désaccords. Évidemment, pour l’intervenant, il ne s’agit pas simplement de faciliter l’extériorisation des opinions, mais aussi de canaliser le dialogue dans un cadre de recherche de solution. Selon notre expérience, celle-ci devient beaucoup plus aisée quand on désamorce la pensée de groupe. 

Références 

  • BARON, Robert S. So right it’s wrong: Groupthink and the ubiquitous nature of polarized group decision making. Advances in experimental social psychology, 2005, vol. 37, no 2, p. 219-253. 
  • TURNER, Marlene E. et PRATKANIS, Anthony R. Mitigating groupthink by stimulating constructive conflict. Using conflict in organizations, 1997, p. 53-71. 
  • HUMPHREY, Stephen E., AIME, Federico, CUSHENBERY, Lily, et al. Team conflict dynamics: Implications of a dyadic view of conflict for team performance. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 2017, vol. 142, p. 58-70.